Exclu du groupe La République en marche parce qu’il a refusé de voter le budget, le député Sébastien Nadot déplore, dans une tribune au « Monde », l’affaiblissement du parlement, au moment où la concertation est plus que jamais nécessaire.
Une tribune parue le 10 janvier sur lemonde.fr
Tribune. La colère monte. L’urgence sociale est là. La catastrophe environnementale aussi. Fin septembre 2018, le Gouvernement du Premier ministre Édouard Philippe avait fixé trois priorités pour le budget 2019 : libérer l’économie et le travail, protéger les Français, investir pour l’avenir en préparant les défis de demain et en transformant l’action publique.
Trois mois et quelques milliers d’amendements plus tard, le projet de loi de finances ne me parait pas en mesure d’atteindre les objectifs fixés, ni de répondre aux impératifs environnementaux et de justice sociale et fiscale. Député de la majorité, je vote contre le budget. Sacrilège ! Je suis exclu du groupe La République En Marche à l’Assemblée nationale dans les heures qui suivent.
Depuis 18 mois, force est de constater que l’action parlementaire a très peu fait évoluer les projets de loi initiaux du Gouvernement. Une fois de plus, la Représentation nationale n’a pas été suffisamment entendu pour que le budget 2019 intègre les réalités de terrain et les aspirations d’une majorité de Français. Le dirigisme gouvernemental n’a pas non plus intégré les aspirations et inquiétudes des premiers acteurs de la démocratie locale : maires et conseillers municipaux. Autre source d’inquiétude, les corps intermédiaires, syndicats en tête, ne sont plus vraiment de la partie. La verticalité du pouvoir est sans doute nécessaire. Mais l’absence de concertation dans les phases de prise de décision n’est pas satisfaisante.
Un gouvernement atteint de surdité
Côté citoyens tout n’est pas perdu : voir et entendre cette femme sur une chaîne d’information en continu deux ou trois jours avant Noël, emmitouflée dans son gilet jaune à la sortie d’une autoroute, non loin de Perpignan, réclamer par-dessus tout la possibilité de referendum d’initiative citoyenne. Ces voix populaires qui réclament qu’on les entendent. Il faut les entendre. On ne peut avancer vraiment dans les réformes qu’avec les couches populaires et les classes moyennes. Si le referendum d’initiative citoyenne permet de sortir la démocratie représentative du malentendu, parce que c’est aussi un malentendu, qu’avons-nous à perdre ? Nul besoin de « dissoudre le peuple » pour revigorer la République, il faut savoir bien l’écouter et lui répondre pour le servir.
Croire que le rapport direct entre le gouvernement et le peuple est possible, en toutes circonstances, c’est considérer qu’on peut jouer de la trompette à l’envers, ou bien que gouverner, c’est diriger sans dialoguer. Notre démocratie représentative est imparfaite mais à trop vouloir passer outre, le gouvernement l’affaiblit davantage chaque jour. Nul besoin de dissoudre l’Assemblée nationale pour revigorer la République, il suffit de s’en servir.
Voter contre le budget, ce n’est pas seulement lancer l’alerte à un gouvernement atteint de surdité. C’est aussi un signal à son propre camp, quitte à en être exclu.
Elu représentant de la nation sous la double étiquette LREM et Mouvement des Progressistes à la faveur du renouvellement de 2017, je m’étais engagé à participer à la transformation du pays au regard de l’idée que j’ai du progressisme : pour une République humaniste, sociale, écologiste et européenne. L’idée de réviser les pratiques politiques était également motrice de mon engagement. Les réussites en la matière – parité femme/homme à l’Assemblée, amélioration du contrôle de l’utilisation des deniers publics par les élus de la nation, alignement des retraites des députés sur le régime général, fin du système clientéliste de la réserve parlementaire – ne parviennent pas à effacer les insuffisances. Ces insuffisances sont liées à la méconnaissance de tous (médias, gouvernement, députés, citoyennes et citoyens) du rôle dévolu à un parlementaire. La Constitution de 1958 le précise clairement : le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. Nulle mention d’un devoir du député à l’égard d’un parti politique. Bien au contraire. La Constitution précise également : « Tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel ». N’en déplaise à Jean Jacques Rousseau, les députés sont représentants de la nation et non d’une organisation, d’un collectif particulier ou d’une quelconque coterie.
Voter contre le budget quand on appartient à la majorité, c’est s’inscrire pleinement dans le jeu démocratique qui organise actuellement nos institutions. Ça l’est d’autant plus quand on mesure le vide sidéral idéologique des partis politiques actuels. A quoi bon s’obliger à respecter la ligne du parti quand il s’agit d’une coquille vide d’idées ?
La faiblesse du législatif face à l’exécutif doublée de cette faiblesse du parti LREM engendre un monstre politique : la majorité parlementaire n’a d’autre boussole que les projets de loi gouvernementaux. Le parlement n’est plus qu’une petite main de l’exécutif.
Dans ce jeu, il est bon de rappeler les travaux en sociologie des organisations de M. Crozier et E. Friedberg dans L’acteur et le système qui expliquent que l’addition de décisions individuelles rationnelles n’aboutit pas nécessairement à une décision collective rationnelle. Faire porter la responsabilité sur tel ou tel n’a guère de sens. En revanche, le jeu d’un acteur, pas nécessairement de premier rôle, comme le grain de sable dans un engrenage, peut modifier le système tout entier.
Plutôt que de réinterroger les pratiques à la mesure du rythme d’un quinquennat et de la déstructuration du champ politique, le parti et le groupe LREM se sont confortablement installés dans les pantoufles de leurs prédécesseurs. Honoré de Balzac avait ces jolis mots pour décrire pareille situation : « cette camaraderie corrode les plus belles âmes. Elle rouille leur fierté, tue le principe des grandes oeuvres, et consacre la lâcheté de l’esprit. En exigeant cette mollesse de caractère chez tout le monde, certaines gens se ménagent l’absolution de leurs traitrises ».
La tentation du groupe LREM de gérer ses députés comme le ferait un conseil d’administration avec ses employés est vouée à l’échec. Qui saura voir un « nouveau monde » politique dans un groupe parlementaire qui n’a jamais soumis au vote de ses membres la moindre de ses orientations politiques ?
Débattre est une richesse démocratique inestimable. Mais à l’heure où médias, réseaux sociaux et nouvelles technologies ont ouverts la voie à de nouveaux possibles, c’est désormais la participation à la prise de décision qui fera sens démocratique… ou pas.
J’ai voté contre le budget pour participer à la prise de décision dont j’accepte l’issue qui m’est contraire et pour mettre un grain de sable dans l’engrenage d’un système inepte.
Le grand débat qui s’ouvre ne devra pas s’arrêter en chemin. Des modifications législatives ou réglementaires substantielles devront permettre aux nouveaux politisés des ronds-points et à tous les autres citoyens de prendre leur part, s’ils le souhaitent, dans les décisions qui concernent le devenir du monde où ils vivent. Il ne tient qu’à nous pour que le vent souffle, non pour alimenter la tempête, mais pour grossir la vague démocratique.
Sébastien NADOT, député de Haute-Garonne, porte-parole national du MdP
Une réponse
Je retiens de cette explicite tribune le fait que ce qui doit et peut changer sont les pratiques de la démocratie :
La représentation nationale devrait utiliser les moyens et droits déjà prévus dans la constitution et les lois telle que l’indépendance du vote par le député représentant de la nation et pas de son groupe des textes, ou également le contrôle parlementaire de l’exécutif. Pas besoin de changer la loi ou réviser la constitution pour cela !
Le peut aussi mettre en pratique ce qu’il prône depuis l’élection de 2017 en usant et abusant du mot « concertation » : Instaurer une véritable concertation avec les corps intermédiaires, mais aussi les maires et conseillers municipaux.
Le grain de sable n’a pas que le potentiel de changer le fonctionnement d’un mécanisme complet, il est aussi possible en les accumulant possible de former de très grandes dunes qui peuvent changer durablement le paysage.