Michel Rocard s’en est allé
Partir au cœur de la ferveur footballistique, ne pas déranger, à contre-pied de la société du spectacle…
Au printemps 2004, des amis niçois ayant le cœur à gauche (si, ça existe) m’avaient convaincu d’aller écouter Michel Rocard en meeting pour les élections européennes. C’est comme ça qu’un soir, dans une salle annexe d’Acropolis, j’ai pu assister à mon premier discours politique. Un édile local avait cru bon de prendre la parole au préalable, pour « chauffer un peu la salle ». Résultat mitigé. Michel Rocard, qui écoutait patiemment la diatribe socialiste niçoise, fut enfin invité à monter sur l’estrade.
Costume blanc, mal ajusté, trop grand pour ce petit homme à l’air chétif…
Les trois ou quatre premières phrases suscitèrent mon étonnement : à peu près la moitié des mots avalés au passage. Tiens, la marionnette du Bébette show ne mentirait-elle pas ?
Très vite, j’ai compris ce qui se passait. La parole de Michel Rocard n’était pas assez rapide pour suivre le rythme de sa pensée. C’est peut-être pour cela qu’il avait initié quelques années auparavant cette réforme de l’orthographe… Petit à petit, le fil du propos se fit clair, passionnant. Michel Rocard avait choisi d’éclairer par l’histoire le sens de l’Europe pour imaginer son futur. Un discours simple, convaincant. Une pensée claire, réfléchie et expliquée comme à des amis.
Au bout d’une heure, peut-être plus – on ne regarde pas sa montre dans ces moments là – je me vois encore, dans le hall d’Acropolis, étourdi par ce que je venais d’entendre. Je me souviens de la première remarque d’une amie : « ce qui est bien avec Rocard, c’est qu’on a l’impression d’avoir tout compris et d’être intelligent quand on l’écoute ». C’est peut-être ce qui résumerait le bonhomme si cela était possible : « Un grand homme qui aidait les autres à grandir. »
Comme à l’accoutumé en pareilles circonstances, le nom de Michel Rocard connaîtra les meilleurs éloges, pas toujours les plus authentiques. Comme à l’accoutumé, la folie médiatique s’enflammera pour celui qu’elle n’a guère ménagé de son vivant. Comme à l’accoutumé on repassera en boucle ses rapports avec François Mitterrand, une pincée de RMI, une autre pour ses coups de pied dans la fourmilière.
Michel Rocard n’a pas toujours fait l’unanimité. C’est le propre des hommes de convictions.
Aujourd’hui, c’est avec le cœur serré que je vois partir cet artisan acharné du progrès social.
Michel Rocard s’en est allé.