INTERVIEW – Membre du groupe d’amitié France-Turquie, Robert Hue a participé lundi soir au vote de la loi pénalisant la négation des génocides. L’ancien candidat communiste à l’élection présidentielle raconte au JDD.fr la teneur des débats. Et fait part de ses inquiétudes sur ce texte. « Je crains que cette position française nous fasse perdre de l’influence dans le monde arabe. »
Comment se sont déroulées les discussions?
Elles ont été très longues, près de huit heures, mais tout ceci s’est passé dans un climat extrêmement serein. Il y avait pourtant des divisions à l’intérieur de chaque groupe politique, mais chacun a écouté les arguments de l’autre, sans aucune agressivité. Ce débat de fond, institutionnel, touchant à la place de l’histoire, a vu des responsables politiques de premier plan pendre la parole pour exprimer leurs positions, souvent divergentes, toujours argumentées.
Nous aurions pu craindre un débat houleux non?
C’était envisageable bien sûr, eu égard à l’importance de la question. Je regrette d’ailleurs que nous ayons été obligé de nous la poser à 100 jours d’une élection présidentielle…
Vous êtes donc sur la position officielle de la Turquie, qui crie à la loi électoraliste?
Absolument. Dans la conclusion de mon propos, j’ai d’ailleurs expliqué que nous votions une loi d’opportunité, pour ne pas dire d’opportunisme. J’ai été complètement cohérent avec mes précédents votes sur les lois mémorielles. La loi votée lundi soir contrevient à la séparation des pouvoirs. C’est au juge de qualifier pénalement des faits, et je le dis d’autant plus facilement que j’avais voté la loi de 2001 sur la reconnaissance du génocide arménien par la France.
« Ce que nous avons fait là est une faute »
Cette immixtion du législateur sur le terrain de l’Histoire est-elle dangereuse?
Tout à fait. Il faut arrêter avec cette volonté de faire écrire l’histoire par le législateur. Il y a un danger de confusion entre histoire et mémoire. Que chacun fasse son travail, cela évitera d’attiser les flammes et de voir deux communautés s’affronter, comme ce fut le cas lundi soir devant le Sénat.
Espérez-vous que le Conseil constitutionnel partage votre avis et se prononce contre ce texte?
En tout cas, si des sénateurs veulent le saisir, je vous annonce que je ferais parti des signataires. Nous en avons rapidement parlé entre nous, car la saisine doit se faire assez vite.
Comprenez-vous la colère de la Turquie, menaçante depuis lundi soir?
Cette colère est tout à fait légitime. Nous allons ternir grandement nos liens commerciaux, économiques et financiers avec ce pays voisin. Mais ce n’est pas tout. Je ne le souhaite évidemment pas, mais je crains que cette position française nous fasse perdre de l’influence dans le monde arabe, et dans la résolution du conflit israélo-palestinien. Bien que membre du groupe d’amitié franco-turque, j’ai toujours été critique vis-à-vis d’Ankara sur certains points, comme le droit des journalistes par exemple, mais ce que nous avons fait là est une faute.
Benjamin Bonneau – leJDD.fr
Article à retrouver sur www.lejdd.fr