Les jeunes sont-ils plus mal traités en France qu’ailleurs ? Comment en douter lorsque l’on sait qu’un jeune actif sur quatre environ est au chômage – soit l’une des proportions les plus élevées d’Europe. Ce sur-chômage, ou hyper-chômage, ne manque pas d’intriguer par sa persistance et sa remarquable constance depuis quatre décennies. Quelle fatalité pèse donc sur les jeunes qui les rend à ce point vulnérables ? Leur manque de formation ? De mauvaises orientations scolaires ? Une faible motivation au travail, ou à certains types d’activités ?
Pour l’employeur, les manques portent effectivement ces noms mais d’autres aussi, comme le manque de sociabilité, le manque d’adaptation aux règles de l’entreprise, le manque de respect pour les collègues et la hiérarchie, sans oublier le fameux « manque d’expérience » – un manque dont on ne voit toujours pas comment on pourrait l’éliminer pour les ‘nombreux) demandeurs de premier emploi !
On a longtemps affirmé qu’il suffisait d’éliminer ces manques, en clair pour un jeune d’être bien formé ou bien diplômé pour trouver du travail. On sait aujourd’hui (mais on en faisait déjà l’observation au début des années 1990) que les diplômés, et même parfois les titulaires de bons et prestigieux diplômes, ne sont pas totalement à l’abri du risque de l’inactivité (et de la précarité). Le parapluie diplômant est décidément bien fragile ! Il n’est guère plus, à cet égard, que d’indécrottables optimistes pour prétendre encore que les jeunes n’ont quand même pas raison d’avoir peur, qu’au bout de quelque temps, 70 à 80 % d’entre eux finiront par décrocher un emploi, et sous forme de CDI par-dessus le marché ! De quoi se plaignent-ils ?
Si l’accès au travail continue de varier selon le niveau d’études, mais plus faiblement qu’on le croit, selon le capital de relations disponibles (par les parents), les insuffisances propres à certains jeunes ne permettent plus d’expliquer à elles seules la situation actuelle. Car c’est bien aujourd’hui l’insertion professionnelle de toute une génération qui est en cause.
Pourtant les jeunes ne manquent pas de qualités. Ils regorgent de dynamisme, de créativité. Ils ont un sain goût du risque, une aptitude à se remettre en question, de l’ambition même. Comment donc expliquer leur triste sort sur le marché du travail ?
Nous l’avons vu, des explications scolaires sont parfois avancées. Elles conservent, pour partie, leur relative pertinence. Il vaut toujours mieux être bien formé que sans qualification pour prétendre à un emploi, même si, je le répète, un niveau de formation et d’études élevé ne garantit plus une activité professionnelle aussi sûrement, et, en tout cas, aussi rapidement, que par le passé. Il y a, bien sûr, les discriminations persistantes à l’embauche : être d’un « mauvais lieu », issu d’une famille « étrangère », aggrave la situation de jeunes qui semblent bannis à l’avance.
Il y a les explications économiques. Le manque d’emplois ? Certes, il n’y a plus d’emplois pour tous, mais le taux de chômage des adultes est deux fois inférieur à celui des jeunes. Comment comprendre ? Tournons-nous du côté des employeurs. Pour ces derniers, les jeunes ne sont manifestement plus une priorité d’insertion. Et de nous expliquer alors que des jeunes formés (au demeurant mal à leurs yeux) les intéressent moins que des jeunes expérimentés et, surtout, motivés. Ils veulent par ailleurs des salariés productifs tout de suite.
Reste une dernière explication à l’infortune des jeunes : l’explication politique. Depuis le milieu des années 1970, la France, confrontée à un chômage massif, s’est vu contrainte, comme bien d’autres pays occidentaux, de faire des choix quant aux bénéficiaires de l’emploi restant disponible. La génération aînée, qui détient les leviers de commande, a choisi de privilégier les plus de 25 ans, inventant pour les autres le « traitement social » et, au mieux, le CDD. Génération précaire (de longue date) aujourd’hui sacrifiée ? Comment en douter ? Les jeunes attendront. Ils attendront le bon vouloir politique.