Pour revoir l’intervention de Robert Hue au sénat, cliquer sur la photo ci-dessus.
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Le débat sur la prolongation de l’opération CHAMMAL en Irak intervient seulement quelques jours après les attentats terroristes tragiques qui ont coûté la vie à dix-sept personnes et blessé plusieurs autres de nos concitoyens.
Ce drame est d’abord celui de familles brutalement endeuillées, des familles vers lesquelles j’adresse ici solennellement toutes mes pensées ainsi que celles de mes collègues du RDSE, et je rejoins bien évidemment les propos du Président MEZARD qui vient de s’exprimer au nom de mon groupe dans le débat précédent consacré précisément à ces attaques terroristes.
Qu’il me soit juste permis de souligner une nouvelle fois, mes chers collègues, que dimanche, la France a offert au monde et à elle-même l’image de l’unité, de la solidarité et de la détermination. La mobilisation massive d’une grande dignité de millions de Français a montré une capacité certaine à la résilience.
Bien entendu, après le temps de l’émotion, nous devons passer au temps de la réflexion et de l’action, mais ce n’est pas l’objet de ce débat… même s’il n’est pas sans lien avec ce que nous avons connu ces derniers jours sur le territoire national.
Monsieur le Ministre, mes chers collègues, la lutte contre le terrorisme, c’est aussi bien sûr un combat que nous devons mener à l’extérieur de nos frontières en soutien aux Etats fragilisés par les groupes djihadistes et terroristes. Le dernier livre Blanc sur la défense le rappellait clairement : « La possibilité que des territoires échappent durablement au contrôle d’un État est un risque stratégique de première importance pour l’Europe ». Nous y sommes !
Aussi, au regard de la menace que représente l’établissement d’un califat dirigé par le groupe terroriste Daech, le Président de la République a décidé de lancer l’opération Chammal en septembre 2014.
L’attachement profond au respect des droits de l’Homme que chacun d’entre-nous peut avoir ici, impose des responsabilités lorsque ces droits sont bafoués. En répondant à la demande officielle des autorités irakiennes, la France a tenu son rôle. Les atrocités commises contre des minorités religieuses et ethniques (et particulièrement contre les femmes !) par les djihadistes de Daech dans leur progression jusqu’à Mossoul, ainsi que l’assassinat barbare de plusieurs otages occidentaux ont dicté la réaction de la communauté internationale.
Comme je l’ai souligné lors du débat qui s’est tenu le 24 septembre dernier, les visées expansionnistes d’al-Baghdadi dans la région et sa volonté farouche de réussir là où Ben Laden a échoué, nécessitaient une réponse d’urgence à la hauteur. Sans contester le principe de l’engagement d’une coalition internationale en Irak, Monsieur le Ministre, j’avais toutefois émis quelques réserves, d’ailleurs partagées par plusieurs de mes collègues. Et je continue de penser que l’intervention de nos forces militaires en Irak comme en Afrique exige un engagement plus grand et plus significatif d’autres forces de la coalition, et en particulier de nos alliés européens.
Après quatre mois de soutien aérien aux forces irakiennes, devons-nous poursuivre l’opération ? Il est vrai que c’est un délai assez court pour en apprécier l’efficacité tant la situation sur le terrain est complexe. Concrètement, comme l’indique régulièrement le ministre de la Défense dans ses points de situation, nos forces armées remplissent parfaitement chacune de leur mission. Très récemment encore, des avions de chasse français ont participé avec succès à une opération d’envergure dans le Mont Sinjar pour aider des réfugiés harcelés par Daech.
Mais, plus globalement, force est de constater que l’Irak n’a toujours pas retrouvé son intégrité territoriale, l’un des principaux objectifs de la résolution 2170. Vous l’avez dit, Monsieur le Ministre, les frappes aériennes de la coalition internationale, conjuguées aux actions des Forces de sécurité irakienne et des Peshmergas ont permis de contenir les positions de Daech mais pas –hélas – de les faire reculer significativement.
Nous allons vers un engagement long et vous ne l’avez pas non plus caché. Mais l’on sait ce qu’il en coûte. Sommes-nous en mesure d’assumer un conflit de longue durée alors que nous menons bien d’autres opérations sur des théâtres extérieurs ? Je pense par exemple à l’opération Barkhane en cours dans la bande sahélo-saharienne. Nous avons aussi de nombreux soldats en République centrafricaine dans le cadre de l’opération Sangaris.
A cela s’ajoute plus que jamais les exigences intérieures liées au plan Vigipirate. Dans l’hexagone, le fameux « continuum sécurité-défense » promu dans le dernier Livre blanc, va être largement mis en oeuvre avec la mobilisation actuelle de 10 000 militaires pour parer au risque élevé d’attentats. Tout cela est bien sûr légitime, mais cela va peser fortement sur notre format capacitaire. Nos forces armées sont déjà sous tension. C’est un débat que nous avons eu dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, donc je ne m’étendrai pas.
Mais il n’est pas inutile de le rappeler car nous faisons des choix qui parfois nous dépassent. Nous voyons bien que les frappes aériennes ne vont pas suffire à déloger Daech. Or, personne ne souhaite envoyer des troupes au sol. Même les américains sont réticents, alors que disons-le clairement, ils sont en grande partie responsables de la situation actuelle dans la région depuis qu’ils ont mené leur guerre dite préventive en 2003 et qu’ils n’ont pas su, par la suite, gérer notamment les rapports entre sunnites et chiites. J’en profiterai pour saluer la décision courageuse prise à l’époque par le Président Chirac, décision responsable qui s’avère a postériori la bonne, et plus encore au regard du chaos qui a finalement suivi le retrait américain.
Ce constat doit nous amener, comme je l’ai indiqué lors du premier débat en septembre, à conduire une politique stratégique plus clairvoyante et surtout à privilégier le temps long dans la gestion des conflits régionaux, sous peine d’entrer dans des contradictions qui ne font que compliquer la recherche de solutions politiques et diplomatiques.
Cela doit nous conduire à considérer que la voie diplomatique et politique appelle un renforcement de nos relations avec les pays incontournables dans cette région : je pense à la Turquie naturellement et à l’Iran, deux grandes puissances régionales, je pense aussi au Qatar, à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis qui doivent sortir de leurs alliances ambiguës. De même que, là aussi, la Rissue est un interlocuteur majeur et incontournable.
Mes chers collègues, s’il l’on peut et si l’on doit encore maintenir les frappes aériennes pour le moment car la situation l’exige, nous devons avant tout soutenir les acteurs de la région dans la lutte contre les groupes terroristes, leur permettre de s’emparer d’un conflit qui les concerne en premier lieu et aider les populations locales qui sont les premières victimes de la violence et de la barbarie. Toutefois, attention à ne jamais confondre la responsabilité de protéger les populations avec le changement de régime, comme cela a été fait par exemple en Libye avec le résultat que l’on sait…, c’est ce que nous rappelions il y a un an à cette tribune.
Monsieur le Ministre, mes chers collègues, dans ces conditions, au regard de ce qui se passe là-bas mais aussi après ce qui est arrivé ici, les membres du groupe RDSE voteront de façon unanime et responsable en faveur de la prolongation de l’intervention des forces armées françaises en Irak.