Par Dominique Bègles, Journaliste.
Si les questions autour de la nationalisation de Florange remettent au cœur del’actualité un débat devenu tabou depuis plusieurs dizaines d’années, on peut s’interroger sur les différentes motivations qui sont à l’œuvre.
L’actualité joue des tours et des détours. Les événements autour d’Arcilor Mittal ont eu au moins un mérite : celui de replacer au centre du débat national le dossier des nationalisations industrielles. Ne boudons pas notre plaisir. Avouons pourtant considérer avec une certaine jouissance intellectuelle le retour de ce thème. Apanage de l’âge, certains se souviennent des anathèmes lancés à l’encontre de ceux qui, communistes et progressistes, avaient l’outrecuidance de penser nécessaire une appropriation sociale des secteurs stratégiques. Que de débats, de disputes … Par exemple autour de l’actualisation du Programme commun de gouvernement. La droite rugissait, les socialistes se montraient pour le moins chiche sur l’ampleur à leur accorder. Aujourd’hui, l’idée retrouve une nouvelle vigueur. Paradoxalement, une partie de la droite la revendique, notamment au sein de l’UDI, mais aussi parmi quelques caciques de l’UMP. A gauche, le PS n’en finit pas de s’interroger et les Verts paraissent parfois nouvellement convertis. En revanche, l’opinion publique semble avoir fait définitivement sa religion en ce domaine : plus de 60% disent nourrir une dilection particulière à son égard.
Le paradoxe est que depuis les années 70, le débat n’est pas resté suspendu. D’abord parce que, après l’arrivée de François Mitterrand à l’Elysée en 1981, des nationalisations ont été réalisées. Avec un succès bien mitigé. Lequel, s’il a créé quelques désillusions, n’en a pas moins fourni matière à approfondissement. Les nationalisations ne sont pas l’alpha et l’oméga de toute politique réputée de gauche. Elles ne sauraient être la panacée face au désengagement du capital lorsque celui-ci n’y trouve pas un retour sur investissement à hauteur attendue. Tout est question de critères. Et parmi ceux-ci, il en est de plus décisifs que d’autres : en particulier l’intervention des salariés dans les choix de gestion et la sélection des fameux critères.
L’idée des nationalisations temporaires a germé au cours de la pré campagne présidentielle socialiste de 2007. Dominique Strauss-Kahn, candidat à la primaire, en avait fait une de ses propositions phares, en apparence iconoclaste de la part d’un dirigeant socialiste classé sans autres formes de procès par la gauche de la gauche dans le camp des sociaux-libéraux. N’est-il pas piquant de constater que les critiques les plus vives contre ce que l’on appelle désormais un renoncement du gouvernement Ayrault à Florange proviennent de ceux qui ne voulaient en aucun cas entendre parler de la chose en 2007 : la nationalisation temporaire n’était qu’au pire une béquille provisoire au capitalisme défaillant. Au mieux, une utilisation scandaleuse de l’argent public pour renflouer des situations industrielles avant de les rendre au capital privé pour ses plus grands profits une fois l’entreprise assainie. Et le sale boulot effectué ? Le Front de gauche prépare, dit-on, une manifestation pour cette cause…
A y regarder de plus près, de quelle nationalisation s’agit-il ? En l’état, et sans présumer des lois que le gouvernement envisage de mettre à l’ordre du jour courant janvier au regard des conclusions à l’issue de la conférence sociale et des négociations sur la sécurisation de l’emploi, la nationalisation du site de Florange est à l’industrie sidérurgique ce que le fil à couper le beurre est à la recherche scientifique. Comment penser une seule seconde qu’une décision n’intéressant qu’un site particulier, mais pas l’ensemble des usines Mittal et encore moins la filière sidérurgique, soit de nature à impulser une dynamique industrielle nouvelle à hauteur des besoins du pays, voire de l’Europe, dans un contexte marqué par une forte mondialisation de la production ? Pour le coup, une décision de ce type et l’ambition somme toute restreinte qu’elle revêt, doit beaucoup à une politique d’adaptation aux méfaits du capitalisme tout en épargnant la mise en cause de celui-ci. Une telle politique n’est pas en soi scandaleuse si elle est assumée comme telle dans le cadre d’un rapport de forces idéologiques que l’on s’appliquerait par ailleurs à faire évoluer dans le sens des besoins et non dans le souci de préserver un mode de production devenu obsolète. Dans cet esprit, le débat sur la nationalisation du site de Florange n’est-il pas à considérer comme faisant désormais partie de la caisse à outils d’une démarche sociale-démocrate décomplexée comme celle d’un capitalisme pragmatique ? Ce raisonnement ne conduit pas à le condamner mais à le resituer dans un contexte.
Enfin, que nos concitoyens y voient désormais une planche de salut ne saurait étonner. Sans doute faut-il y concevoir que, dans la forêt de doutes, d’incertitudes et de craintes de lendemains douloureux, dans un contexte de crise économique dont on nous dit encore que le pire est à venir, il existe une légitime aspiration à se raccrocher à un état providence dont on rêve qu’il puisse constituer un nouveau bouclier social. Aussi incertain soit-il.