Evadées familiales et fugueurs fiscaux…

michelfizePar Michel Fize, Sociologue, Délégué national du MUP à la Jeunesse.

Un article paru dans Libération du 7 janvier 2013 (cliquer sur le lien pour voir dans le journal)

La qualité de l’adulte changerait-elle la qualification des faits et le choix des mots ? Deux jeunes filles, de respectivement 16 et 17 ans – Camille et Geneviève -, qui quittent le domicile familial sans avertir leurs parents (oubli regrettable, convenons-en) sont des «fugueuses» (c’est la loi qui le dit). Deux ou trois chefs d’entreprise ou acteurs, qui quittent leur pays, sans avertir davantage les pouvoirs publics, sont, quant à eux, des «évadés». Et pourquoi n’inverserions-nous pas les termes ?

Pourquoi ne parlerions-nous pas d’«évadées familiales» et de «fugueurs fiscaux» ?

Qu’est-ce que ça change, me direz-vous ? Mais tout. Devenus «fugueurs», les adultes entrepreneurs tombent sous le coup de la loi, et tous les moyens sont permis pour les «récupérer» (horrible mot utilisé par les parents de Camille et Geneviève pour reconduire leurs enfants au bercail). Devenues au contraire «évadées familiales», nos grandes mineures de 16 – 17 ans accéderaient, du même coup, à une certaine légitimité (n’est-il pas de tradition que tout prisonnier a le droit de s’évader – que c’est même un devoir pour ceux qu’on nomme «les prisonniers de guerre» ?)

J’entends vos murmures, chers lecteurs. Vous m’interpellez : «Mais monsieur Fize, dîtes-vous par hasard que la famille est une prison ?» A quoi je rétorque : «Ah bon ! Elle ne l’est pas ?» «Parfois, non ?» André Gide se serait-il trompé complètement ? J’en doute.

Mais je clarifie ma position. Il y a famille et famille. La famille aimante et la famille «tuante» (au sens propre comme au sens figuré quelquefois). Il y a la famille nécessaire (au jeune enfant) et la famille de plus en plus contraignante (pour l’adolescent et le jeune adulte), celle qui ne respecte pas le souci légitime et structurant d’autonomie et de responsabilité des grands «enfants». Ce que, dans une étonnante déclaration, le procureur de la République du Puy-en-Velay a rappelé, le 31 décembre, en indiquant que la «fugue» des deux jeunes filles de Haute-Loire était différente des fugues habituelles, que celle-ci était «un acte réfléchi, pensé, qui répondait à un engagement» (aux côtés des manifestants de Notre-Dame-des-Landes).

J’achève ce propos par une information de recherche et deux propositions. L’information. A 15, 16, et a fortiori 17 ans, l’on n’est plus un enfant, l’on n’est même plus un adolescent, l’on est un jeune (homme ou fille), et parfois déjà un jeune adulte, capable de choix de vie, apte à décider, avec le discernement nécessaire, de son destin. Mais cette capacité n’est pas reconnue dans notre droit actuel qui ne distingue guère les âges de la minorité, considérant globalement qu’un mineur n’a pas (n’a pas à avoir ?) de droits. La proposition est donc la suivante.

Inventons un droit spécial pour les grands mineurs de 15 – 17 ans. Un droit d’autonomie renforcée, une «majorité sociale». Attention : je ne prône pas, en parlant ainsi, une «évasion familiale massive» de ces grands mineurs, mais – c’est ma deuxième proposition – une étude, au cas par cas, des conditions de vie de ces jeunes, qui pourrait justifier un éloignement (passager ou non) de la cellule familiale, dans l’hypothèse par exemple où il y aurait incompatibilité relationnelle définitive avec les parents (comme cela semble être le cas entre Geneviève et sa mère).

A partir de là, restera évidemment à définir les modalités de la nouvelle vie du grand mineur «hors famille», afin qu’elle se déroule à la fois en toute responsabilité et en toute sécurité pour le bénéficiaire.

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