Pour les uns, l’issue était écrite d’avance. Pour d’autres, elle signe l’émergence d’une aggravation d’une fracture politique. Parfois, de gauche à droite, on accuse la droitisation et la banalisation d’un discours extrémiste de l’un, ou les promesses non tenues de l’autre : Brignoles est, à coup sûr, l’un des moments clé de la période politique. L’urgence est le rassemblement pour le second tour face aux dangers d’un lepénisme aussi camouflé soit-il.
Au-delà, tout pousse à analyse. D’autant que le 21 avril 2002 fait jurisprudence. A l’évidence, il y a un message dans l’abstention massive des électeurs, notamment ceux des partis politiques républicains. Celui-ci est sans doute lié à la conjoncture, au contexte immédiat. Déception à gauche, guerre des chefs à droite. A gauche, on reste sur sa fin, à droite, l’appétit n’y est pas. Et surtout, à gauche comme à droite, incapacité à parler aux Français, à leur fixer un cap, à proposer un destin et d’en montrer le chemin borné par la justice sociale et une certaine idée du bonheur. Limiter l’analyse à la conjoncture paraît pourtant un peu rapide. Car l’abstention à Brignoles, clé du scrutin de dimanche dernier, n’est pas un phénomène nouveau dans ce canton. Y compris au premier tour de la présidentielle.
Sans minimiser les résultats de l’extrême-droite, on se doit de rappeler que les électeurs de ce canton ne sont pas tombés brutalement dans les bras de l’extrémisme par un coup de foudre inattendu : depuis 2007, le score du FN est constant. Dimanche dernier, les deux candidats se réclamant de cet héritage ont recueilli 3329 voix. L’extrême-droite avait totalisé 4647 voix au premier tour de la présidentielle 2012. C’est donc le mécanisme abstentionniste et les raisons de cette posture électorale des électeurs, préfigurant peut-être à Brignoles, une attitude qui pourrait s’étendre plus largement lors des prochains scrutins locaux de portée nationale, qui crée les conditions du danger : le FN pourrait être en situation d’être élu à l’insu du plein gré des électeurs. C’est d’ailleurs ce qu’atteste l’histoire récente de ce canton qui s’était déjà donné un conseiller général frontiste avant que celui-ci ne soit invalidé et remplacé – certes grâce à une seule poignée de voix – par un élu communiste.
L’étonnement ne vient donc pas du score du FN. En revanche, il prend sa source dans l’effondrement des partis traditionnels qu’un seul transfert de voix UMP vers le FN n’explique donc pas. L’arithmétique électorale observée lors des précédents scrutins n’interdit d’ailleurs pas d’avancer l’idée que le FN aurait pu faire un score supérieur s’il n’avait pas été pour partie lui-même victime de l’abstention. Le FN, en France comme à Brignoles, ne marque que l’actualité d’un archaïsme.
Le problème, dont on voit qu’il est plus profond que la simple analyse de la conjoncture ne l’autorise, vient de la désaffection de l’électorat envers l’ensemble des partis, même si ceux, dits de gouvernement, paraissent à l’évidence les plus atteints. Si bien que ce qui devrait attirer l’attention des observateurs politiques se trouve être minimisé au bénéfice de la prétendue montée de l’extrême-droite. Le coup de semonce de Brignoles conduit à s’interroger sur la crise du politique, sur l’offre politique, et donc sur la nécessité de revoir les outils politiques, leur mode de fonctionnement, et surtout leur capacité à s’ouvrir à des démarches démocratiques nouvelles, faisant de l’individu la pierre angulaire de leur démarche, le tisserand de réseaux relationnels pour rassembler et concilier. Une nouvelle structuration politico-sociale est à faire naître pour réinventer des rapports adaptés à l’évolution de la société civile. A Brignoles, les électeurs ont sans aucun doute voulu interpeller l’organisation partidaire de notre pays. Les vieilles recettes, qui ont pu être utiles et efficaces à un moment de l’histoire, sont en instance de caducité. C’est d’ailleurs aussi le cas des institutions.