INTERVIEW Sébastien Nadot, spécialiste de l’Histoire du sport, voit dans la possible exclusion des Russes des JO de Rio l’expression d’un conflit politique importé sur le terrain du sport…
Le Comité international olympique a annoncé avoir mis au jour 31 nouveaux cas de dopage. – YASUYOSHI CHIBA / AFP
Propos recueillis par William Pereira
En attendant le début des Jeux Olympiques de Rio, le 5 août, le monde du sport reste suspendu à la décision du CIO, qui décidera dimanche si les sportifs russes iront au Brésil, ou s’ils assisteront aux Jeux à la télé comme leurs compatriotes athlètes, dont l’appel a été rejeté jeudi par le Tribunal arbitral du sport (TAS). Pour Sébastien Nadot, spécialiste en Histoire du sport, une telle décision collective ne serait pas forcément justifiée.
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Que pensez-vous de la tournure qu’est en train de prendre le feuilleton russe ?
L’agenda des instances internationales est curieux. On a l’impression que le CIO prend son temps, qu’il essaye d’attendre le moment où, quelle que soit la décision prise, il sera trop tard pour agir pour que cela ait un impact sur les JO en cours. La presse dit que le CIO est obligé d’abonder dans le sens du TAS, tout ceci est un peu étrange. Et puis à la base, le CIO n’est pas très reluisant d’un point de vue éthique, tout comme la FIFA, l’UEFA ou l’UCI. La fraude des Russes, je ne la conteste pas du tout, mais là, on a un peu l’impression que c’est l’hôpital qui se fout de la charité. Dans ce genre cas, il aurait été préférable de transmettre le dossier à une instance non sportive comme la Cour Européenne des Droits de l’Homme, que la Russie a par ailleurs reconnue.
Quelle est l’importance des Jeux Olympiques en Russie ?
Pour le pays, les JO forment une vitrine internationale qu’il s’est forgée tout au long du XXe siècle. A l’époque, les JO étaient pour la Russie l’occasion de démontrer que son modèle politique était le meilleur, via les résultats sportifs. Maintenant, au niveau interne, c’est l’occasion de réveiller un sentiment patriotique dans un pays morcelé où des régions sont sous contrôle militaire par crainte de sécession, et dont certaines frontières sont instables. C’est là toute l’ampleur du phénomène sportif.
On a entendu des dirigeants russes ainsi que John Kerry clamer haut et fort qu’il ne fallait pas que les Jeux Olympiques deviennent politiques. Est-ce qu’ils ne se moqueraient pas un peu du monde ?
C’est évidemment une plaisanterie. Le sport est instrumentalisé depuis des années par les Etats qui s’en servent notamment via des boycotts. Il n’y a qu’à voir la présence de chefs d’Etats dans les stades de football et en général pour se rendre compte de ce lien fort entre sport et politique.
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Au vu des réactions suscitées en Russie par la « simple » mise au ban des athlètes russes, quelles conséquences peut-on imaginer à une possible exclusion totale des sportifs russes aux JO par le CIO ?
C’est difficile à prédire. La politique de Poutine c’est de toujours avoir le soutien du peuple en disant que dans le lot de sportifs russes privés de Jeux Olympiques, il y avait des sportifs qui n’étaient pas dopés, ce qui doit être vrai par ailleurs, et que par conséquent cette punition collective à l’égard de la Russie est injuste. Mais diplomatiquement, je ne suis pas sûr que le sport soit si important que cela sur l’aspect des relations entre pays, bien que ce ne soit pas un paramètre négligeable.
Est-ce que le fait que ce soient les Russes et qu’on ne sache pas trop comment ils peuvent réagir à une exclusion totale des JO va avoir un impact sur la décision finale du CIO ?
C’est possible. Compte tenu du fait que les enjeux sont politiques… Il faut faire attention parce que c’est un grand pays, c’est une grande puissance militaire. Peut-être que le CIO prendra cela en compte, oui.
On a l’impression qu’il n’y a pas de travail entre les Russes et les instances comme le CIO, qu’il n’y a pas de relations bilatérales…
Le sport international est totalement ficelé par l’ancien camp de l’Ouest, composé des Etats-Unis et d’une partie de l’Europe. Il y a quasiment une superposition politique avec l’Otan. C’est pour cela que l’on peut s’interroger sur la reconnaissance d’instances comme le TAS par la Russie. Tout ceci manque de clarté.
Un article publié le 21 juillet 2016 sur le site www.20minutes.fr