Dans cette période où le mouvement social se développe, nombreux sont celles et ceux qui sont en recherche de quel type de rassemblement nouveau construire et de quel outil politique se doter pour cela ?
Les rapports entre le mouvement social et la politique ont toujours été complexes. Ils sont aujourd’hui marqués du point de vue du mouvement social pour la méfiance vis-à-vis de la politique et des hommes politiques, la crainte d’être instrumentalisés. En même temps, cette incapacité à construire ensemble retarde la possibilité de créer des alternatives, limite le potentiel même des mouvements sociaux et de ses acteurs.
Il existe contradictoirement une conscience confuse qu’on ne peut en rester en l’état et qu’il faudra bien qu’un jour ou l’autre on se rencontre. Sans doute cette méfiance trouve ses racines dans les expériences passées, mais plus encore dans l’incapacité de la gauche et du Parti Communiste Français à se transformer pour répondre aux défis d’aujourd’hui.
Pour ne prendre qu’un exemple récent de l’actualité, tout le monde marque le caractère inédit de la journée du 29 janvier et de sa préparation. A l’évidence, il appelle un regard neuf pour une pratique politique nouvelle.
L’unité syndicale et la mobilisation populaire se sont faites sur un corps de propositions et de revendications anticrise de haut niveau. Il a reçu le soutien de l’opinion mettant ainsi toutes les forces de gauche face aux réponses à apporter aux besoins d’union et d’une autre politique. Si la gauche peine pour être à la hauteur c’est que, selon la conception dominante, la mission et le rôle de ses partis, et tout particulièrement du Parti Communiste, seraient de soutenir le mouvement social mais surtout de lui proposer un projet crédible de la transformation de la société.
Or, lorsque dans la France de 2009, 2 millions et demi de salariés manifestent sur une plateforme unitaire d’une telle surface soutenue par près de 70 % de l’opinion publique, la question est-elle d’être au-dessus ou à côté du mouvement réel ou de plein pied dans un mouvement ressenti par ses acteurs comme à portée d’intervention humaine.
Dans ce contexte, la création d’un nouvel espace progressiste refusant la hiérarchisation du pouvoir et pensant la démocratie autrement relève de l’audace politique. Pour la forme d’association politique qu’il prend, comme pour la cible qu’il se fixe, il peut permettre l’entrée en politique de jeunes acteurs du mouvement social en recherche comme de moins jeunes ex-communistes, socialistes, verts qui ne se retrouvent plus aujourd’hui nulle part.
Lorsque que l’on connaît l’intelligence déployée par les acteurs du mouvement syndical et associatif sur leur champ, on mesure l’apport que représenterait leur investissement politique pour la gauche, comme pour les forces de progrès.
De plus je pense qu’il peut, parce que conceptuellement lavé de la matrice du 20ème siècle, contribuer par la pratique qu’il génère comme par les initiatives qu’il prend à la transformation de la gauche française. On sait qu’aujourd’hui, même si le patriotisme d’organisation demeure, une bonne idée d’où qu’elle vienne est immédiatement appropriée, ce qui ne peut qu’aider celles et ceux qui se battent de l’intérieur pour transformer les partis de gauche.
Le concept de nouvel espace progressiste est une idée neuve. Je pense qu’il porte l’idée forte du sens à donner au mouvement. Songeons à l’effort politique nécessaire pour en finir avec l’un des dogmes les plus tenaces de la pensée unique qui veut assimiler réforme et régression, alignement vers le bas.
Il n’existe pas de fatalité à ce que le changement soit synonyme de reculs sociaux. Redonner comme sens au changement le progrès me semble participer à ce débat.
Je pense que cet espace porte l’idée forte de la recherche du plus grand dénominateur commun avec les citoyens portant les questions jusqu’où ils veulent dans un cadre souple et réactif. Un rassemblement fait d’articulations entre démocratie participative et représentative. Il porte l’exigence de construction entre ce que propose, pense une force politique et ce que pensent et croient possible à un moment donné les citoyens dans un processus fait de navettes où les uns et les autres progressent. C’est bien sûr accepter au bout du compte que cette construction aboutisse à autre chose que ce que nous avions nous-mêmes imaginé.
C’est donc un rassemblement non pas autour d’un projet politique mais à partir d’aspirations, de revendications des citoyens eux-mêmes. On mesure l’exigence de disponibilité et d’ouverture que de tels objectifs confèrent à une force politique.
Nous sommes confrontés au défi de construire un rassemblement ouvert où se croisent citoyens et acteurs du mouvement social, où chacun puisse rester dans sa fonction et sa temporalité. Un type de rassemblement que l’on peut rejoindre ou pas, auquel on puisse participer partiellement ou plus. Un type de rassemblement générateur de luttes et de votes. Un type de rassemblement sous-tendu par une pensée politique déhiérarchisée entre politiques et citoyens, entre politiques et acteurs du champ social.
Culturellement, notre pays se distingue des autres nations européennes. En France, il existe une hiérarchie entre l’intervention politique et celle des acteurs sociaux.
Je pense que porter la question de la déhiérarchisation de la politique est le meilleur moyen de permettre au mouvement social de s’investir en confiance ; question d’autant plus importante lorsque les partis de gauche censés le représenter accèdent au pouvoir.
Voilà un espace bien né qu’il ne nous reste plus qu’à investir.