Je vais essayer ici d’apporter quelques éclairages historiques sur Les enjeux et les paradoxes du Progrès…
Au 18e siècle, l’idée de progrès se fonde sur la possibilité de changer le monde à partir de la diffusion de la connaissance. Les philosophes des Lumières misent notamment sur le partage des moyens intellectuels pour transformer la société d’Ancien Régime.
Bientôt, l’accélération du progrès scientifique et technique donne le signal de départ de la Révolution industrielle. Nos sociétés à dominante agraire et artisanale deviennent celles du commerce et de l’industrie. Les équilibres politiques, monétaires et économiques en sont considérablement modifiés. En même temps, la question sociale – qui concerne les racines profondes du vivre ensemble – accompagne ce mouvement.
Les avancées prodigieuses d’alors – de la machine à vapeur à l’électricité – laissent croire que le génie humain, plus facilement partagé, permettra un jour de surmonter la misère.
Pourtant, aujourd’hui, l’évidence s’impose : le progrès social ne s’est pas construit au rythme et à la mesure des progrès scientifiques, technologiques et industriels. Les grandes tragédies du 20e siècle comme la misère et les inégalités de notre quotidien en attestent.
« Le progrès et la catastrophe sont l’envers et le revers d’une même médaille », disait Hannah Arendt.
Aujourd’hui, que se passe-t-il ?
Nous vivons une mondialisation qui révèle chaque jour des inégalités de plus en plus criantes. La crise sociale est visible au quotidien.
Nous vivons une perte de confiance totale dans les élites.
Le rejet du système politique et de ses partis est très fort.
Nous vivons un repli de chacun sur soi quand un projet collectif se fait attendre. La crise éthique de la société individualiste est bien là.
Enfin, nous vivons une révolution technologique de l’information et de la communication, dont les conséquences ne sont pas encore clairement identifiables.
Le temps du commerce et de l’industrie laisse place à celui de la communication et de la connaissance.
Mais à ce jour, la seule réponse de notre société pour s’adapter aux crises diverses est celle d’une social-démocratie hautement inégalitaire, plus ou moins libérale, adossée à une économie de marché de plus en plus financiarisée.
C’est la théorie en marche de l’économiste américain Francis Fukuyama pour qui, depuis la Chute du Mur de Berlin et l’effondrement soviétique, notre modèle politique actuel et son économie de marché apparaissent comme une sorte d’horizon indépassable.
Que penser de tout cela ?
À 40 ans, quand on est encore un peu jeune, mais plus trop quand même, il est bien difficile de croire aux nobles idéaux qui ont transportés les générations du 20e siècle.
Pour ma part, j’ai cru longtemps que le cynisme et le dédain à l’égard des questions politiques permettaient de trouver une position convenable et confortable. Et puis je n’avais pas l’esprit tourné vers l’avenir, trop accaparé par l’aboutissement de ma thèse d’histoire médiévale.
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas complètement par hasard que j’écoute un jour une émission de radio sur France Culture en épluchant mes pommes de terre. Deux invités sont venus parler de Georges Duby, ancien éminent spécialiste de l’histoire du Moyen âge. Le premier est Patrick Boucheron, professeur d’histoire médiévale à la Sorbonne, rien que de très normal. Le second est Robert Hue. Pour moi, la surprise est de taille. Que vient faire là, dans ma cuisine, l’ancien secrétaire national du Parti Communiste Français ?
Robert Hue explique ce qu’un homme politique doit à l’histoire. Intéressant et intriguant…
En hyper connecté d’internet, je m’empresse de consulter la page Wikipédia de celui qui était resté pour moi le successeur de Georges Marchais. Mon étonnement suit son cours quand je prends la direction de la page du Mouvement Unitaire Progressiste. C’est fou ce qu’internet simplifie et accélère les recherches… Le site reflète une dynamique humaine intéressante. Un artisanat d’idées se mêlant à un sentiment positif de révolte face à l’injustice sociale.
Dès lors, le progrès s’installe chez moi comme une évidence au regard de l’histoire et de la situation actuelle de notre société.
Ce sont ensuite mes rencontres avec Robert, François, Claudine, Charles, J.J.…. qui parviennent à me convaincre qu’il ne faut pas attendre le progrès, il faut le provoquer et le rendre réel.
Les enjeux sont considérables au regard des défis inédits qui se posent à nous : sociaux, démocratiques, éthiques et environnementaux.
Dans ce travail de redéfinition du progrès, l’appropriation par chacun de l’actuelle révolution technologique est essentielle.
Bien sûr, internet et ses réseaux sociaux ne sont pas des outils magiques. On y trouve de tout – du futile à l’absurde en passant par l’insulte – avec des informations non hiérarchisées. Mais on voit aussi se développer de nouveaux partages.
Un milliard de smartphones vendus en 2013 ! Imprimante 3D grand public ! Peut-on négliger ces nouveaux outils et ces réseaux qui facilitent l’expression et l’échange ?
Les nombreux projets collaboratifs du netsont une force, un nouveau lieu de pouvoir et d’intelligence collective, une chance à saisir.
Mais ne nous y trompons pas. Après l’exécutif, le législatif et le judiciaire chers à Montesquieu, ce véritable 4e pouvoir est l’objet de toutes les convoitises et ouvre la voie à d’autres projets de société : j’en veux pour preuve les écoutes de la NSA ou les pratiques commerciales des Microsoft, Google et autres Amazon.
En 1956, Boris Vian chantait la Complainte du progrès, cet hymne critique de la société de consommation. Le Progrès y était dépeint avec légèreté et dérision.
Aujourd’hui, la bataille du nouveau siècle a déjà largement commencé.
Le Progrès social est devenu un combat majeur.
Et ce que nous apprend l’histoire, c’est qu’un projet d’avenir partagé qui n’efface pas les individus est possible. Libre à chacun d’entre nous de participer à sa concrétisation.