Monsieur le Premier Ministre,
Vous avez bien voulu réunir sous votre haute autorité, le 16 octobre 2013, les principaux ministres engagés dans l’action économique et sociale de l’État en faveur de la Bretagne. A cette occasion, vous avez réaffirmé la mobilisation du Gouvernement pour répondre aux situations d’urgence sociale et territoriale. Avec une diversité d’élu-e-s et de représentants du monde économique, associatif et syndical, nous voulons y voir le signe de votre détermination à aider la Bretagne, à surmonter ses difficultés actuelles et à préparer son avenir économique et social.
1 – Il est important de comprendre l’extrême souffrance et la colère des salariés
En premier lieu, Monsieur le Premier Ministre, nous vous demandons de considérer que la multitude des actions et manifestations en cours en Bretagne sont en premier lieu l’expression d’une souffrance extrême et d’un désarroi devant l’ampleur des restructurations en cours affectant massivement la situation de l’emploi dans un secteur vital pour notre économie. Ces souffrances, ajoutées à l’absence totale de perspective pour retrouver un emploi, appellent vraiment une prise en compte exceptionnelle et immédiate. Car la réponse à cette situation d’exception ne peut pas attendre les premiers effets que pourraient produire divers plans structurels qui doivent être mis en œuvre mais dont la concrétisation ne pourra se vérifier que dans plusieurs mois.
C’est la raison pour laquelle nous vous demandons, Monsieur le Premier Ministre, une prise en considération exceptionnelle de la situation faite aux salariés de Gad et de Doux, en liaison étroite avec les collectivités locales directement touchées par ce véritable séisme mettant à mal la vie même de nos territoires. Si l’engagement du Gouvernement à accompagner personnellement chaque salarié mérite d’être apprécié à sa juste mesure, tout comme l’annonce du contrat de sécurisation professionnelle renforcé permettant un quasi-maintien du salaire net pendant 12 mois, il nous semble que ce dispositif se doit d’être complété et renforcé. …/…
Nous nous permettons donc de vous suggérer ici l’engagement de négociations spécifiques associant les organisations syndicales représentatives des salariés afin d’examiner avec elles la possibilité de mettre en place un plan de sécurisation associant à la fois des dispositifs de nature à sécuriser au mieux les ressources des personnes concernées et la mise en œuvre de mesures permettant de cheminer vers une sécurisation professionnelle. Pour y parvenir, il y a lieu aussi de soutenir et d’encourager une ambition industrielle en utilisant tous les leviers de nature à favoriser des nouvelles implantations et l’implication des acteurs industriels dans de nouveaux projets émergents sur le territoire breton.
2 – Il convient désormais de soutenir le développement d’une agriculture vivrière de production en Bretagne
Ici, toutes les filières sont atteintes par le libéralisme destructeur encouragé par les orientations européennes et par la tension tout aussi destructrice orchestrée par les enseignes de la «grande distribution». En effet, pour ne nous en tenir qu’aux seules conséquences de la Loi de Modernisation de l’Économie (LME), réputée procurer un avantage aux consommateurs, force est de constater que la «grande distribution» en a saisi l’occasion, d’une part pour maximiser sa logistique en faisant supporter aux transporteurs et aux chargeurs la livraison à date (ce qui multiplie les fréquences des transports et accentue une tension sur la production) et, d’autre part, que celle-ci a capté l’essentiel de l’avantage procuré par la généralisation de l’autorisation du 44 tonnes routier. Cette situation appelle une grande ambition publique pour ouvrir une perspective nouvelle de développement de nos activités productives agricoles tendant à nous permettre de nous affranchir des donneurs d’ordre exclusifs que sont certains industriels et certaines enseignes. En outre, un certain nombre de dispositions méritent d’être reconsidérée; cela est notamment le cas pour la LME (loi de modernisation de l’économie) et pour le dispositif Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) dont les bénéficiaires principaux ne semblent pas être les secteurs ou branches s’engageant le plus dans une démarche vertueuse de développement. S’agissant de la situation particulière de la Bretagne, nous proposons qu’une priorité immédiate soit accordée aux filières avicole et porcine.
a) – Concernant la filière avicole, nous suggérons, après l’abandon des restitutions européennes, qu’une évaluation globale du manque à gagner généré par cet abandon sur une durée de 5 à 7 ans soit établie et que ce montant serve de base de référence pour engager un plan d’investissement de nature à pérenniser l’outil de production. Ce dispositif pourrait être complété d’un appel à projet qui permettrait d’ouvrir la perspective à l’implantation de nouveaux opérateurs de la filière, la France important 50% de la viande de volaille qu’elle consomme.
b) – Concernant la filière porcine, une approche globale s’impose. Ce dont la filière a besoin, c’est d’une stratégie de long terme avec des prix rémunérateurs pour les producteurs. Certes, depuis 2004, les groupements de producteurs ont opéré des rapprochements. Mais, du côté de l’abattage-découpe, la surcapacité industrielle s’est accrue et désormais le dumping social orchestré par l’Allemagne attire les industriels de l’agroalimentaire français et met en péril la filière porcine française dans son ensemble. Après certains pays du nord de l’Europe qui ont fait le choix de concentrer leur activité industrielle par l’acquisition d’abattoirs allemands, ce sont désormais plusieurs centaines de camions qui quittent chaque jour notre pays pour emmener les porcs se faire découper outre-Rhin. …/…
Dans cet emballement de la concurrence mondialisée, on s’achemine vers une concentration inédite des unités de production agroalimentaires. Sur les 180 abattoirs environ que compte la France, seulement 10 d’entre eux produisent plus d’un million de tonnes par an. L’Allemagne, le Danemark et l’Espagne qui sont les plus grands producteurs d’Europe ont déjà affaibli toute la filière française en raison de leurs abattoirs géants. Il est donc clair que dans un marché de plus en plus ultralibéralisé, symbole d’une mondialisation où la concurrence est terrible, le modèle productif breton paraît bien petit tandis que dans les zones de France, plus montagneuses et à plus faible densité, tel que le Massif Central par exemple, la production a aussi chuté d’un quart en dix ans. Mais à l’heure où ces lignes sont écrites, nous apprenons qu’un accord vient d’être conclu entre l’Union Européenne et le Canada.
Cet accord prévoit notamment une facilitation de la pénétration du marché européen pour les viandes bovines et porcines d’origine canadienne. Un tel accord viendra, assurément, accentuer encore la tension sur nos productions et c’est la raison pour laquelle il nous semble important d’engager au plus vite les démarches les plus solennelles auprès de l’Europe.
3 – Concernant le pacte d’avenir Bretagne qui devrait être finalisé d’ici à la fin de l’année 2013, décliné en 5 axes, la question des mobilités multimodales ont particulièrement retenu notre attention.
a) – Il convient de sanctuariser effectivement le bouclage du financement de la réalisation de la mise à 2X2 voies de la RN 164 sur la totalité de son axe. L’annonce des 100 Millions d’euros qu’apportera l’État se doit d’être confirmée, étant entendu que ces 100 Millions d’euros ne doivent donc pas être considérés comme pouvant être affectés à des opérations d’ores et déjà en cours.
b) – La Région Bretagne, en collaboration étroite avec les filières économiques et notamment celles de l’agroalimentaire a élaboré son projet de schéma logistique et de redéploiement pérenne du fret ferroviaire qui sera présenté à la session de décembre du Conseil régional. Cette politique nouvelle, vitale pour le territoire breton, appelle des soutiens importants pour fiabiliser les services en cours et conforter le report modal de la route vers le train ou le maritime. Il serait important d’explorer de manière très précise les modalités partenariales qui pourraient être envisagées pour accompagner ce dispositif dans lequel se reconnaissent la quasi-totalité des filières agricoles et agroalimentaires de Bretagne. La même attention devrait être apportée aux filières de transport maritime et aux conditions faites aux opérateurs de transports, contraints de se mettre aux normes européennes, notamment en matière d’émission de souffre. Cette dernière disposition oblige à reconsidérer l’ensemble des investissements et à configurer des stratégies de repositionnement des navires sur des routes nouvelles, ce qui oblige les collectivités bretonnes à pourvoir à des investissements nouveaux. Enfin, il conviendrait aussi de confirmer la deuxième phase des travaux ferroviaires consistant à mettre la pointe bretonne à 3 heures de train de Paris.
4 – Le Programme d’investissements d’avenir doit par ailleurs accompagner les projets nouveaux du territoire breton. De ce point de vue, les investissements de développement des ports bretons devraient être confortés et, notamment le projet de développement du port de Brest pour accueillir les industries tournées vers la construction et la pose des équipements pour les énergies marines. …/…
5 – Il est urgent d’instaurer un moratoire sur l’écotaxe, très pénalisante pour notre l’économie bretonne en raison de son éloignement géographique et de sa péninsularité. Tel que prévu par le gouvernement, le dispositif de répercussion de l’écotaxe par l’application d’une taxe forfaitaire appliquée sur chaque facture de transport cristallise toutes les craintes des acteurs et en particulier ceux du monde de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Les chargeurs voient que l’écotaxe se traduit en fait, pour eux, par une simple taxe sur les prestations de transport, comme si avait été créé un taux spécifique majoré de TVA sur l’activité transport. (Cette taxation forfaitaire a été portée à 3,7% en intra régional et à 5,2% en inter régional par le décret de juillet 2013). Dans une région productive, pour un secteur agroalimentaire dont le transport représente un poste conséquent du fait des échanges entre les différents stades de transformation, le dispositif aujourd’hui envisagé ne peut que générer des fortes craintes de perte de compétitivité, et cet argument est très fortement repris par les milieux économiques.
La situation actuelle nécessite une prise d’initiative très forte de la part du gouvernement. Sans modification profonde du dispositif de répercussion c’est tout le dispositif de l’écotaxe qui doit être remis en cause.
Monsieur le Premier Ministre, voici les quelques éléments et propositions que je souhaitais apporter à votre attention. Sortir la Bretagne de cette grave crise demandera en effet une implication exceptionnelle des pouvoirs publics : des élu-e-s locaux comme du Gouvernement.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’assurance de ma considération distinguée.