C’est en mon âme et conscience, et à titre personnel, que je me déclare aujourd’hui en faveur de la légalisation du cannabis (qui entraîne, de fait, la dépénalisation de son usage). Il y a à cela plusieurs raisons. D’abord une raison d’équité juridique. Puisque l’alcool, qui est un produit hautement toxique, est en vente libre pour les majeurs, on ne voit pas pourquoi le cannabis (qui, soit dit en passant, est, en consommation régulière, pas moins dangereux que l’alcool, mais aussi dangereux que lui) ne le serait pas lui aussi. Deuxième raison : une raison d’intelligence politique. En dépit d’une législation pénale très sévère, la France est l’un des plus gros consommateurs européens de cannabis. Troisième raison : une raison de santé publique. Cultivé en France, sous contrôle de l’État, puis vendu dans des officines officielles, le cannabis deviendrait un produit propre, dont on pourrait en particulier réduire la teneur en tétrahydrocannabinol (THC), actuellement très élevée (au moins trois fois supérieure à ce qu’elle était il y a vingt ans, la résine de cannabis, il faut le rappeler, étant aujourd’hui additionnée de substances plus toxiques les unes que les autres : huiles de vidange, cirage, pneu….). Quatrième raison : l’absence d’effets négatifs quant au niveau de la consommation. L’exemple des Pays-Bas, qui ont dépénalisé le produit, montre qu’une telle mesure n’entraîne pas nécessairement une hausse de la consommation.
Par ailleurs, de nombreux experts interrogés, tant français que belges, confirment qu’il en serait probablement de même en France. Ajoutons que le produit n’étant plus interdit serait peut-être aussi moins attractif, en particulier pour certains très jeunes consommateurs –11-13 ans (quoique, comme spécialiste de l’adolescence, je ne crois guère à la thèse de l’« interdit-incitateur à transgression ». De nombreux adolescents, d’une part ignorent que la consommation de cannabis est un délit pénal passible d’incarcération et, d’autre part, fument surtout par pur plaisir ou par entraînement au sein des groupes de pairs, en aucun cas pour contrarier quelque adulte ou institution que ce soit…– ce qui atténue considérablement la thèse défendue, entre autres, par Daniel Vaillant selon laquelle un produit autorisé est moins attractif qu’un produit interdit).
Restent posés les problèmes suivants. Quid de la consommation des mineurs, car l’on fume aujourd’hui bien avant l’âge de dix-huit ans, mineurs au demeurant souvent moins argentés que les majeurs ? Ne risque-t-on pas de voir perdurer, pour satisfaire ces jeunes usagers, un marché parallèle – sorte de « marché noir » comme il en existe pour les cigarettes, avec des produits à la fois moins chers que sur le marché officiel et moins propres (le « shit du pauvre ») ? N’existe-t-il pas, par ailleurs, un risque que la légalisation du cannabis n’entraîne le développement du commerce de drogues plus dures ? Cet argument est à prendre en considération, même si les experts sérieux rappellent que les fumeurs de shit ne passent pas nécessairement (loin s’en faut) à l’usage de drogues beaucoup plus dangereuses. En revanche, l’argument de moralité publique, en vertu duquel il serait inconvenant pour un gouvernement d’autoriser la vente de produits dangereux, ne tient pas. En ce cas, il faudrait aussi interdire complètement l’alcool, le tabac, etc. Que les « vertueux », de droite comme de gauche, passent leur chemin.
La légalisation du cannabis n’a évidemment pas pour objet d’encourager la consommation de cette substance, qui reste une drogue, et une drogue souvent dangereuse. Nous proposons cependant de légaliser à partir de 16 ans (l’on sait que l’interdiction de la vente d’alcool aux mineurs de moins de 18 ans est transgressée quotidiennement : le jeune de 16 ans – voire moins âgé –) qui veut se procurer des boissons alcoolisées y parvient aisément. Ainsi ferait l’usager de cannabis du même âge, grâce, notamment, au marché parallèle évoqué plus haut).
Mais, encore une fois, il ne s’agit pas, par cette mesure de légalisation, d’inciter qui que ce soit à consommer plus. En raison de la dangerosité de toute drogue, il conviendra immédiatement, après l’adoption de la mesure, de mettre en place de vastes campagnes d’information sur la nocivité, en particulier du cannabis, et des produits stupéfiants en général, dès lors naturellement que les consommations deviennent excessives, abusives. Si fumer un joint de temps en temps, comme boire un verre de vin à table ou d’alcool le week-end, ne prête pas en effet à de fâcheuses conséquences pour la santé, les usages réguliers, voire quotidiens, de toutes ces substances, présentent en revanche, on le sait, des risques majeurs. Pour le seul cannabis : troubles de la mémoire et de la concentration, apathie, perte du sens du réel, troubles digestifs.
En toutes choses, et pour conclure, il est clair qu’il faut savoir garder de la mesure. Légaliser le cannabis pour les 16 ans et plus, ce n’est qu’affaire d’équité juridique, de santé sociale et personnelle. C’est enfin sortir de l’hypocrisie ou du mensonge politique d’un monde sans drogues ou débarrassé d’elles par une impitoyable répression.
Dernier ouvrage paru : Le Livre noir de la jeunesse, Presses de la Renaissance, 2007