Quand la finance érode l’homme : Crise économique, crise éthique.

SebChinsky2Par Sébastien CHINSKY, MUP Paris.

A l’heure où tous les pays européens s’apprêtent à ratifier le pacte de stabilité, il apparaît nécessaire de s’accorder un temps de bilan, d’analyse, de recul, sur les effets de la crise que nous connaissons. Loin d’être une simple crise économique, nous traversons une crise totale, elle est crise sociale, crise de la démocratie, crise philosophique

De nombreuses voix s’élèvent pour critiquer une politique de rigueur imposée, souvent avec violence, aux peuples par les experts de Bruxelles et docilement acceptée par la plupart de nos élus. Les effets économiques de la rigueur apparaissent, au mieux, comme aptes à maintenir l’économie dans son état de crise actuelle. Les pays les plus “faibles” de la zone euros plongent économiquement et socialement.

Il est toujours étonnant de voir le monde se cliver autour de deux pôles uniques selon une logique du tiers exclus. Nous n’aurions le choix qu’entre la rigueur et la relance keynésienne. L’école de Palo Alto, par l’intermédiaire de Paul Wazlawick, a depuis longtemps démontré que le changement n’est possible que par l’intermédiaire d’une modification des lois du système. Si l’on conserve les lois actuelles régissant les rapports économiques et commerciaux entre les États, les institutions bancaires (Bourses comprises) et les entreprises, alors aucun changement n’est possible. Nous nous heurterons nécessairement aux mêmes crises économiques qui produiront les mêmes effets sur le tissu social dans lequel nous vivons.

Montesquieu, dans le souci de rendre la démocratie possible, pointait la nécessité d’équilibrer les trois pouvoirs qui, en leurs temps, menaient l’Etat de droit; Pouvoir judiciaire, Pouvoir exécutif, Pouvoir législatif.

Il est aujourd’hui essentiel de poser des principes équilibrant trois autres pouvoirs : Pouvoir économique, pouvoir financier, pouvoir Politique (citoyen). Il n’est pas admissible que la politique sociale d’un Etat soit uniquement dépendante de la volonté de ses créanciers. Il n’est pas admissible que la capacité d’investissement d’une entreprise soit entravée par la frilosité de banques à prêter, parce que c’est l’emploi qui en pâti. Il n’est pas admissible qu’une entreprise soit évaluée par sa capacité à maximiser les dividendes versés aux actionnaires.

Les hommes politiques doivent s’atteler à la tâche de rééquilibrer le système. Il s’agit d’un enjeu démocratique. La menace doit être prise au sérieux car ce sont les valeurs même de l’occident qui sont en jeux. Depuis la philosophie des lumières, l’occident s’est construit sur l’idée que son système politique, la démocratie, permettait de faire émerger de l’intérêt général là où n’existait que des intérêts particuliers. Et de fait, des avancées tels que l’école obligatoire et émancipatrice, les congés payés, la réduction du temps de travail, la possibilité de conjuguer vie professionnelle et vie familiale, la généralisation des droits de l’Homme et de l’enfant, n’ont été possibles que par la prévalence de l’intérêt général sur l’intérêt particulier.

Cette lente évolution de société, menée par des philosophies humanistes, progressistes, a permis la diminution du travail de enfants sur l’ensemble de la planète et une amélioration globale des conditions de vie humaine sur terre (même si encore inégalement réparti) et ces meilleurs conditions ont nourri une philosophie sacralisant de plus en plus la vie humaine. La civilisation moderne rend de plus en plus inacceptable la mort d’individu et s’il existe encore des opérations militaire menées par l’occident, observons que chaque vie perdue remet en cause la légitimité de ces actions (à ce titre la réaction de la population française lors de la mort de soldats en Afghanistan est éclairante).

L’Union Européenne a été construite sur l’idée centrale que la seconde guerre mondiale devait être la dernière et qu’il fallait tisser des liens de développement commun entre les états. Aujourd’hui, la situation de la Grèce remet en cause le fondement même du pacte de solidarité humaine qui a présidé à la fondation de la communauté européenne.

Qu’est-ce qu’une communauté qui accepte qu’une population entière voit ses administrations sacrifiées, sont taux de chômage explosé, sa pauvreté s’étendre? Qu’est-ce qu’une communauté qui observe sans rien faire la chute des systèmes de santé, des systèmes éducatifs et de formation.

Ce qui se passe en Grèce, et l’absence de réaction significative de nos politiques et de nos populations, mettent en évidence la chute de notre humanité. Nos valeurs humaines s’affaissent parce que nous sommes profondément insensibles au malheur des pays voisins (Espagne, Italie, Grèce…). Nos valeurs humaines sont remises en cause parce que nous privilégions l’intérêt des quelques pays bénéficiant encore d’un équilibre précaire à l’intérêt général européen.

Mais plus grave encore, nous restons aveugles aux effets de notre indifférence sur les populations qui souffrent. Car au sein même des pays les plus touchés par la crise économique, un affaissement moral se produit, lentement, insidieusement.

En Grèce, le Mouvement Aube Doré s’enracine dans la jeunesse et la violence qu’il prône, prend corps jusque dans les écoles où des élèves “grecs” chassent les élèves “étrangers”. La colère, la peur du lendemain, le sentiment d’être un pays “martyr”, sont historiquement un terreau fertile de développement pour les partis d’extrême droite, le fascisme.

Et si ni l’Espagne, ni l’Italie ne sont touchés de façon aussi massive par la montée d’une extrême droite structurée, il n’en reste pas moins que la xénophobie et la chasse à l’étranger s’y sont développées (ex rosanéro en 2010).

La crise que nous traversons doit être prise comme une menace sérieuse contre nos valeurs humaines, contre la croyance en un sens de l’histoire, un sens de la vie humaine. Ne nous y trompons pas, la crise morale est présente et l’hédonisme ne peut suffire à combler un vide qui envahit de large frange de la société. La richesse économique n’est en rien un pare-feu au vide existentiel qui nous frappe. La crise du capitalisme s’exprime autant économiquement qu’à travers les 35% de candidats aux concours de professeurs des écoles qui, jusqu’alors, étaient cadres dans le secteur privé. Les travailleurs sociaux voient de plus en plus de ces anciens cadres du secteur marchand les rejoindre sur le terrain, dans une quête de sens, d’utilité sociale.

Nous ne pouvons répondre à cette crise que par l’affirmation de la prédominance des valeurs humaines et progressistes car elles seules donnent un sens acceptable à l’existence humaine et au travail dans notre société humaine.

Faire l’économie de la création d’un équilibre entre l’économie et le politique ne peut se faire qu’au détriment de notre civilisation. Or, une civilisation est par nature un objet meuble, fragile et qui ne se situe qu’à quelques pas de la barbarie.

Il nous faut sortir du dogme selon lequel le politique est impuissant face au financier. Car la finance n’est que l’un des membres d’une société qui est régie par la loi. Point n’est besoin d’une révolution mais de décisions courageuses.

A ce titre, je propose donc :

– La constitution d’un Fond Souverain Européen alimenté par une épargne citoyenne obligatoire. Ce fond, une fois constitué en masse, aura pour objet de compenser le déséquilibre des marchés financiers privés.

La définition d’une règle de taux maximum : Les Etats européens engagent une responsabilité collective de remboursement de la dette avec une condition de dédit si les taux dépassent un niveau défini.

– La création de Banques Régionales d’Investissement Citoyen qui auront pour objectif, par l’intermédiaire d’une épargne citoyenne, de relancer une activité économique ciblée dans chaque région tout en offrant aux citoyens une place d’administrateur en leur sein.

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