Une tribune de Sébastien NADOT, député de Haute-Garonne, responsable national du Mouvement des Progressistes, parue sur le Blog de Mediapart le 2 mai 2020.
1ère partie. « De battre, le coeur de la démocratie s’est presque arrêté. » Quand le Parlement est devenu au mieux une chambre d’enregistrement ministérielle, il reste au représentant de la nation que je suis actuellement à dire aux citoyens l’impuissance d’un député à assumer ses missions constitutionnelles. Mais les chemins de traverse ont peut-être un avenir.
Lundi de Pâques, je vais faire le plein de mon véhicule, pas utilisé depuis 1 mois. Impossible de me sortir de la tête la réplique des Fourberies de Scapin : « Que diable allait-il faire dans cette galère ».
Le service de la séance de l’Assemblée nationale m’a proposé d’aller poser une question orale au gouvernement le mardi 14 avril. Il s’agit de s’adresser 2 minutes (précisément) au ministre de son choix sur un sujet d’actualité. Pas d’avion, pas de train… Depuis Toulouse, ça fait entre 14 et 15 heures de trajet en voiture. Le Préfet d’Occitanie ne cesse de rappeler à l’ordre et au civisme pour un respect scrupuleux du confinement. Et moi, pendant ce temps là, je vais aller faire le dandin à Paris ?
J’ai été élu pour représenter les gens. Quand on est député « non-inscrit », c’est-à-dire rattaché à aucun groupe politique (aux États-Unis, on dit député indépendant) l’occasion de disposer de la parole est rare. Le Président Macron doit faire une allocution à 20 heures ce lundi. Il y aura bien des questions. Et puis, en temps normal, l’assemblée nationale est déjà un cercle parisien de causeries, alors en cette période de confinement, la parole d’un député provincial est d’autant plus importante. C’est décidé, j’irai à Paris.
Comme il est d’usage, je communique par mail à l’Assemblée nationale : « Ma question s’adressera au Premier ministre Édouard Philippe et portera sur la politique générale du gouvernement suite aux annonces du Président de la République ».
Départ de Toulouse à 6 heures du matin. Sandwichs, Thermos de thé, masque en tissu de fabrication locale, un proche m’accompagne pour partager le temps au volant. Entre Cahors et Brive, le café est servi gratuit sur l’aire d’autoroute. Comme il n’y a guère que des camions, la caissière est un peu interrogative sur les raisons de notre voyage. Je lui explique. L’échange est sympathique et chose surprenante, je sens tout au long de ma conversation, à travers ses inquiétudes, qu’elle s’en remet à moi, qu’elle a confiance dans ce que je vais faire, vais dire. Rien à voir avec la période antérieure au coronavirus où, pour de plus ou moins bonnes raisons, les a priori sont toujours à la même défiance, à la même croyance que le député que je suis intrigue toujours pour des raisons personnelles sans souci réel de la chose commune.
Le reste du trajet se déroule bien. Mon véhicule est totalement seul au péage de Saint-Arnoult ! La lumière sur Paris est anormalement belle et claire. On distingue tous les détails de la tour Montparnasse ou de la Tour Eiffel à des kilomètres. L’instant écolo-bucolique ne me fait pas oublier ma colère. Par un courrier en date du 23 mars adressé au président de l’Assemblée nationale, à son secrétaire générale ainsi qu’à tous les députés, je demandais à ce que la continuité démocratique parlementaire soit assurée, en utilisant les outils numériques de manière exceptionnelle. Pourquoi ne pas autoriser les députés à poser leur question au gouvernement de chez eux, par vidéo ? Si le parlement n’était qu’une instance de la démocratie représentative, le bon sens aurait immédiatement guidé vers cette solution. Ce qui compte, c’est bien que le gouvernement puisse entendre les représentants des citoyens et réponde à leurs questions ? A moins que…
La conférence des présidents de groupe de l’assemblée nationale se permettra de déroger à toutes les règles – y compris constitutionnelles – pour modifier le fonctionnement en cette période épidémique. Mais jamais pour permettre aux députés d’assumer leurs 3 rôles constitutionnels : contrôler l’action du gouvernement, évaluer les politiques publiques, voter la loi.
La mission d’information instaurée et présidée par Richard Ferrand établit par exemple deux niveaux de députés : ceux qui sont dans la mission et qui peuvent contrôler l’action du gouvernement et ceux qui n’y sont pas… La manière d’établir cette mission d’information suit le même mode de fonctionnement que la commission d’enquête ouverte à l’Assemblée nationale pour l’affaire Benalla : on organise une instance parlementaire mais on vérouille d’emblée le résultat sur un scénario politiquement compatible avec toute la galaxie La république en marche. Manque de chance, pour la commission d’enquête relative à l’affaire Benalla, l’opposition parviendra à distiller les deux ou trois grains de sable suffisants pour mener au fiasco et mettre en évidence, déjà à l’époque, la parodie parlementaire qui se joue depuis l’avènement de la Start-up nation aux commandes de la politique française. En cette période de confinement, la concentration des pouvoirs de l’assemblée entre les mains de son président et trois ou quatre de ses mignons est beaucoup plus difficile à empêcher. Le conseil d’administration LREM de l’Assemblée nationale fait corps autour de son patron.
Je traverse le bâtiment de l’Assemblée relativement désert. Dans la salle des 4 colonnes où s’agglutinent habituellement quantité de journalistes prêts à tendre leurs micros aux meilleurs clasheurs de l’hémycicle (pas de buzz, pas de politique à la maison du peuple) seulement deux ou trois journalistes se tiennent là, et deux huissiers avec masques en arrière plan des caméras pour la télévision. Si j’étais mauvaise langue, je raconterai que la quinzaine d’autres huissiers croisés ce jour là ne portaient pas de masque et que la méthode du ploutocrate parlementaire en chef de l’Assemblée nationale, c’est : « fais de la Com’ et tais toi », y compris chez le personnel administratif qui ne devrait pourtant pas être au service d’un homme mais bien à disposition des parlementaires et donc du peuple. Mais que voulez-vous, tant que ça marche…
Une poignée de députés dans l’hémicycle et au total 5 ministres se succéderont pour ces Questions au Gouvernement en temps d’épidémie.
Ma question élude volontairement la pénurie de masques ou l’obscurité qui règne sur les tests car je voudrais véritablement avoir des éclairages sur la politique générale du gouvernement, bref, savoir si on va vers un tournant après le discours de la veille au soir du Président de la République ou si on continue droit dans le mur par quelques artifices discursifs.
Richard Ferrand est dressé comme un coq au perchoir. Vient mon tour. Je me lève vers mon micro. Comme je suis au poulailler, avant dernier rang derrière le député Ruffin, la caméra met un peu de temps à me trouver.
2ème partie. Le 14 avril, je me retrouve donc, après 7 heures de voiture depuis Toulouse, à poser une question orale de 2 minutes au Premier ministre Édouard Philippe dans un hémicycle quasi-vide, seule la retransmission télévisée sur LCP faisant foi…
Voici à peu près les termes de ma question :
« Monsieur le premier ministre, en représentant de la Nation, j’ai roulé longtemps depuis mes terres occitanes pour venir vous délivrer plusieurs messages :
Je suis d’abord venu vous dire la douleur des familles endeuillées, la terrible angoisse des proches des malades, la peur d’être abandonné des plus fragiles, et parfois malheureusement… leur abandon. Les plus vulnérables physiquement, socialement et économiquement sont en première ligne, en France, chez tous les européens, comme chez nos plus proche voisins du continent africain. Je veux dire ensuite toute l’admiration, le soutien et les encouragements aux initiatives et mobilisation sans relâche des combattants du quotidien, soignants, bénévoles et autres acteurs essentiels, ceux qu’on applaudit tous les soirs à 20h. A son tour la communauté scientifique s’est mise en ordre de bataille aux coté du ministère de la santé, de la recherche, pour apporter des éclairages, bientôt même des premières solutions pour faire face à la crise du coronavirus. Mais cela ne suffit pas.
A l’heure de la grande défiance, il nous faut de la confiance. A l’heure du plongeon dans l’inconnu, il nous faut de la transparence dans les décisions politiques. A l’heure du discours d’un seul, il nous faut aussi un vrai débat démocratique. Monsieur le Premier ministre, je ne peux me résoudre à voir Twitter, BFM ou Quotidien remplacer Condorcet, Jaurès et Simone Weil,
Le petit député que je suis vous demande d’aller dire au Président de la République qu’il faut vite réunir un Congrès extraordinaire depuis Versailles, rassemblant toutes les forces représentatives de la Nation, en s’inspirant de la convention pour le climat. Assemblée nationale, Sénat, députés européens de France, CESE, convention citoyenne pour le climat, présidents de région, maires, maires ruraux, syndicats, partis politiques, académies scientifiques, associations et bénévoles : la démocratie représentative est imparfaite mais elle est là.
Comment utiliser notre intelligence collective pour reconnaître nos erreurs et en faire une force ? Comment protéger les plus faibles avec quel système fiscal ? Comment concilier santé et liberté à l’ère du numérique ? Comment relancer l’économie sans continuer d’agresser notre environnement ? Comment changer de gouvernance, vers celle qui servirait l’intérêt général, celle qui éviterait la prédation des ressources de notre planète ?
Réanimer la démocratie représentative par une semaine de vrais débats ne sera pas de trop ! Et ne dites pas que le génie français n’en a pas les moyens techniques ou que le service public de télévision et radio à mieux à faire que servir 24h sur 24 notre chère République. Monsieur le premier ministre, de battre le cœur de la démocratie s’est presque arrêté. Irez-vous dire au Président de la république que le débat d’aujourd’hui construira demain ? »
Je n’ai pas besoin d’attendre l’issue de ma question pour savoir que le Premier ministre ne daignera pas me répondre. Pendant mon exercice, je le vois, en bas assis à sa place, discutant avec ses conseillers, se retournant tranquillement par-ci par-là. Il finit quand même par me regarder. Quel honneur… S’il avait voulu me répondre, il m’aurait écouté : il n’avait pas connaissance du contenu de ma question par avance comme c’est le cas avec ses députés de la majorité et certains députés de l’opposition trop courtisans pour oser publiquement heurter sans prévenir le premier ministre.
Rouler une quinzaine d’heures pour poser une question de deux minutes au Premier ministre, c’est déjà pas très rentable. Mais quand le Premier ministre décide de ne même pas y répondre, c’est juste de la désolation. Qui pour répondre alors ? Le ministre en charge des relations avec le parlement ? (dont je me demande toujours à quoi il sert après 3 ans de mandat). Non.
Le président de l’Assemblée nationale me répond ! Pendant près de 30 secondes – cherchant essentiellement à me ridiculiser – il sort de son rôle (il préside la séance des questions au gouvernement et à ce titre n’a pas à intervenir politiquement dans le débat mais à l’organiser). Une fois qu’il a terminé son propos, jugeant probablement qu’il m’a suffisamment enfoncé la tête sous l’eau, il passe alors la parole au ministre de la santé, lequel se contente de dire avant et après une longue respiration solennelle : « je crois que le Président Ferrand a tout dit ». Là, je dois dire que je suis émerveillé par le culot de cette fine équipe, premier ministre, ministre de la santé et président de l’Assemblée nationale. Qui sont ces imposteurs de la République ?
En décidant de ne pas me répondre, le Premier ministre affiche son mépris total et entier au petit député que je suis. Ça ce n’est pas grave, mais c’est aussi son mépris total et entier vis-à-vis des gens que je représente. Des gens de la métropole toulousaine écœurés par le tout pour Paris, des gens du Lauragais, de cette ruralité, qui ne vivent pas à la même heure, ni le même jour ni la même année que les cortèges ministériels. Selon que vous soyez faible ou puissant… Vous me direz, c’est pas nouveau, en 3 ans, on a vu comment il se fichait éperdument des gilets jaune, des gens qui galèrent ou sont dans la misère.
En décidant de me répondre le ministre de la santé aurait pu avoir quelque pertinence et rebondir sur les propos qui concernent son ministère. Que pense-t-il de « la peur d’être abandonné des plus fragiles, et parfois malheureusement… leur abandon » que j’avais évoqué dans ma question ? A cela pas de réponse. Ce silence du ministre de la santé sur les plus fragiles dans cette épreuve du coronavirus en dit plus que n’importe quel discours. Il préférera m’expliquer que les autres pays européens n’apportent pas une meilleure réponse démocratique à la crise ! (Ce qui reste à démontrer…)
En décidant de me répondre Richard Ferrand sortait de son rôle mais surtout, il oubliait de faire respecter un parlementaire, l’un des siens, du moins s’il était président de l’Assemblée nationale, s’il avait le parlementarisme chevillé au corps. Un vrai président de l’Assemblée nationale aurait dit délicatement au Premier ministre : « Monsieur le premier ministre, le député Nadot est venu de loin pour vous poser une question. Je crois que vous pouvez faire honneur à son engagement en lui répondant ». Bien sûr, cette situation est inenvisageable. En effet, même si la Constitution stipule que le gouvernement est responsable devant le parlement et par conséquent qu’un ministre, premier ministre compris, est tenu par obligation de répondre à un parlementaire, personne n’est dupe : le gouvernement s’est installé depuis belle lurette au Parlement. L’excroissance de l’exécutif en France et l’aplatissement du parlement ne date pas du nouveau monde de 2017. L’ancien monde avait mis le Parlement dans les cordes. LREM l’a mis K.O.
Quelques minutes après mon tour de parole, je regarde le Président de l’Assemblée nationale sur son perchoir, l’air goguenard, faisant des petits signes amicaux et amusés tantôt au ministre de la santé, tantôt à celui des affaires étrangères. Pendant que la moitié de la France se demande comment seront les fins de mois à venir, pourquoi le gouvernement tarde à fournir les masques si nécessaire, pourquoi l’exécutif ment effrontément sur ce qu’il met à disposition des personnels soignants, le Président de l’Assemblée sait que personne ne viendra lui causer de tracas sur le rognage en régle de la démocratie auquel il s’ingénie.
Sur le chemin du retour, j’échange au téléphone avec un député de La république en marche (quelques-uns ne sont pas totalement irrécupérables), lequel n’est pas moins inquiet que moi du rôle (de l’absence de rôle) octroyé aux parlementaires pendant cette crise. Quand je lui demande pourquoi le Président Ferrand agit de la sorte, sa réponse simple, comme une évidence :
« Mais Ferrand n’est plus président de l’Assemblée nationale ! Il est redevenu ministre et tu fais partie des agents les plus mal notés de son ministère (rires). Le confinement de l’Assemblée lui a permis de tout mettre entre ses mains. On a toujours dit que le parlement était le ministère de la parole. Et bien la crise du coronavirus a nommé Richard Ferrand ministre. »
Richard Ferrand avait été un éphémère ministre de la cohésion des territoires pendant 1 mois et 2 jours. Poussé à la démission par le Président Macron en raison de ses démêlés politico-financières avec la justice, le bonhomme à l’exemplarité écornée, mis en examen en septembre 2019 pour prise illégale d’intérêt, avait d’abord conquis de hautes luttes intestines le perchoir. A la faveur de la crise, il avait rebâtit l’Assemblée nationale à sa main… Pendant que les soignants étaient au combat en première ligne, pendant que la désolation du confinement se mettait à frapper les plus fragiles, l’habile ploutocrate avait confiné la démocratie, du moins ce qu’il en restait.
Revanche personnelle, inconscient refoulé au travail, le voilà qui pouvait à nouveau se pavaner aux côtés d’Edouard Philippe, Olivier Veran et Jean-Yves Le Drian ce 14 avril. Retour au club. La confusion régnait quant à la séparation des pouvoirs chère à Montesquieu ? Assemblée nationale et ministère ne font plus qu’un. La fusion a remplacé la confusion. Mais citoyens et démocratie ont disparu de nos institutions. Jusqu’à quand ? Comment reprendre la main sauf par une démocratie de combat ?
Et Richard Ferrand ? Il est redevenu ministre !
2 réponses
« aucun nouveau monde ne naîtra grâce à ceux qui se tiennent à distance, les bras croisés. Il naîtra grâce à ceux qui sont dans l’arène (…) L’honneur appartient à ceux qui ne renoncent jamais à la vérité même quand tout semble sombre et menaçant, que les insultes, l’humiliation ou la défaite ne découragent jamais.Depuis l’aube des temps, l’humanité a respecté et honoré les hommes courageux et honnêtes . » N.Mandela ( lettres de prison ) . Pour tes moments de découragements…Merci pour ton action et tes prises de positions .
Bonjour, ce qui me désole dans tout ça est que à cette lecture il apparaît que les profils les moins irréprochables occupent des postes stratégiques. La mise en porte à faux de leurs valeurs les rend utiles au service du « plus fort ». C’est finalement fort représentatif d’une nature humaine grégaire et hégémonique. Ce qui me désole aussi est de voir que les idées au service d’un groupe humain simple et travailleur est perçu comme finalement dérisoire pour ces « grands Hommes ». Grands hommes devenus low cost. Dont l’apparence est aussi dégradante qu’une actrice nue dans un spot de pub pour des barres chocolatées. Belle représentation du plus vieux métier du monde. Vive la prostitution, vive la république.