Par Nicolas Céléguègne, Délégué du MUP Marseille, auteur de « Je prépare le BAFA » aux éditions Dunod.
Le débat actuel sur les rythmes scolaires, qui cristallise le mal-être et le questionnement des enseignants, doit nous permettre de faire un pas de côté et d’adopter une vision plus globale de cette question.
Sous la partie visible de l’iceberg, largement relayé par les médias, il y a pourtant une question bien plus fondamentale que nous devrions tous nous poser, en tant que citoyens, parents, élus, enseignants, journalistes… Il s’agit, en 2013, de nous interroger sur le projet de société que nous voulons offrir à nos enfants : quelles sont les valeurs dont ils sont en train d’hériter, bon gré mal gré ? Est-ce le règne de l’argent, de la télé-réalité, de la célébrité à tout prix, de la concurrence effrénée (« pour éliminer untel, tapez 1 ») ? Est-ce un monde binaire, manichéen, séparé en deux catégories : les bons contre les méchants, les travailleurs contre les chômeurs, les « Français de souche » contre les « étrangers », les jeunes contre les personnes âgées… Pendant dix ans de pouvoir UMP, nous n’avons cessé d’entendre des discours et propos stigmatisant les uns contre les autres ! Est-ce, au contraire, une société plus solidaire, plus égalitaire en droits, plus démocratique dans les actes ?
On me dira : mais quel est le rapport avec la question des rythmes scolaires ?
Justement ! Ce qui est au cœur du débat, c’est l’intérêt de l’enfant et de ses besoins biologiques, psychologiques, intellectuels et sociaux, comme le préconisent bon nombre de pédagogues et de pédopsychiatres. La réforme de l’Education Nationale sous la présidence Sarkozy, entre 2007 et 2012, a clairement visé à démanteler l’Ecole et mettre à mal le travail des enseignants : suppressions de postes et de moyens, réforme des programmes, réduction maximale de leur formation. Tout cela au nom de valeurs centrées sur la rentabilité, l’efficience, le contrôle des résultats, la suspicion permanente.
A son arrivée, c’est une Education Nationale sinistrée et déboussolée que Vincent Peillon doit rassurer, encourager, valoriser. C’est ce que le « projet de loi pour la refondation de l’école » entend justement faire, non sans heurts.
Qui, parmi les parents, serait contre l’allègement des journées harassantes que subissent les enfants chaque jour ? Nul ne contesterait l’utilité d’activités éducatives permettant d’approfondir des savoir théoriques essentiels : Marcel Rufo lui-même rappelle que la pratique de l’aviron nécessite l’application de l’arithmétique, que le théâtre permet de lire des textes d’auteurs, etc. Nous pourrions ainsi concevoir cent mille liens et allers-retours permanents entre ce qui est appris en classe et ce qui est acquis à travers ces activités.
La difficulté réelle de cette réforme indispensable, c’est le financement de ces activités par les communes, malgré une aide conséquente de l’Etat, le recrutement de personnels qualifiés, l’organisation matérielle et quotidienne tant pour les enseignants que pour les parents.
Au sein des personnels concernés par ce nouveau dispositif, n’oublions pas celles et ceux qui se sont appelés, via les syndicats qui les représentent, les « invisibles ». Ce sont les animateurs qui accueillent et accompagnent, chaque mercredi et pendant les vacances scolaires, le million d’enfants qui, sur une année, sont inscrits dans les ACM (Accueils collectifs de mineurs (appellation la plus récente des « centres aérés » et « colonies de vacances »). Ils sont souvent jeunes, embauchés en contrats précaires (CAE-CUI, CEE…), ils ont besoin d’être valorisés et reconnus dans leur travail. Les formations qui préparent à ces fonctions, à commencer par le BAFA et le BAFD, ont sans aucun doute besoin d’être améliorées.
Ce qui manque à tout ce débat, c’est de la cohérence entre les différents corps professionnels qui interviennent dans les rythmes scolaires et qui, souvent, restent campés dans des représentations négatives des uns envers les autres : enseignants reprochant aux animateurs d’être des « amuseurs » (ce qui est très réducteur), animateurs accusant les enseignants d’être trop rigides par rapport aux programmes (ce qui l’est tout autant).
Nous en appelons donc à davantage de concertation et de dialogue entre tous les acteurs concernés par la nécessaire refondation de l’école autour d’un projet progressiste pour notre société et pour l’avenir de nos enfants : ministères, syndicats d’enseignants, associations de parents, mouvements d’éducation populaire, organismes de formation, etc.