INTERVIEW DE LA SEMAINE – A 66 ans, dont dix passés à diriger le Parti communiste, Robert Hue veut porter un « regard lucide et honnête » sur François Hollande, qu’il soutient pleinement. Le sénateur ne comprend pas la critique « véhémente » de Jean-Luc Mélenchon et l’avertit : « L’échec de François Hollande serait l’échec de toute la gauche. »A lire également sur www.lejdd.fr
Que pensez-vous des pistes avancées par le gouvernement sur la réforme des retraites?
Il est possible d’apporter une réponse différente de celle imaginée par le rapport Moreau, notamment au regard des flux financiers qui existent dans le pays. On peut agir sur toute une série de choix fiscaux, notamment sur ceux qui ont le plus de moyens. Je pense qu’il ne faut pas toucher à l’âge légal de départ à la retraite et il faudrait éviter d’allonger la durée de cotisation.
C’est pourtant ce que semble privilégier le gouvernement…
Oui, mais nous ne sommes pas du tout au bout de la discussion. Le président de la République a dit que le gouvernement tranchera, mais un dialogue est engagé. La réponse d’avenir est celle de la croissance et de l’emploi. Il y a des pistes à imaginer, des innovations à penser. Il y a un cap difficile à passer.
Le calendrier est serré. Laisse-t-il le temps de la réflexion?
C’est un sujet suffisamment sérieux pour ne pas se précipiter! Il faut travailler, on a le temps. Je ne veux pas entrer dans une sorte de frisson collectif sur ce dossier.
François Hollande promet l’inversion de la courbe du chômage d’ici la fin 2013. Y croyez-vous?
Quand on est président, on ne va pas annoncer le contraire. L’objectif est effectivement difficile à atteindre mais je souhaite qu’il le soit. Et si je peux y contribuer, je ferais le maximum. L’heure n’est pas à cisailler les pattes de François Hollande.
Vous avez soutenu François Hollande pendant la présidentielle. Quel regard portez-vous sur sa première année de mandat?
Il faut être honnête et lucide. La situation économique et sociale gravissime que nous connaissons n’est pas née avec l’arrivée de François Hollande, ni par la mise en œuvre de ses choix politiques. Des engagements sont pris, il y a des réussites réelles, avec le mariage pour tous, la refondation de l’école ou l’intervention au Mali. Mais je constate des inquiétudes, de fortes attentes, notamment de la part de l’électorat populaire, conscient des difficultés actuelles. Je sens la déception.
Personnellement, êtes-vous déçu?
Je ne suis pas déçu, j’étais d’accord avec son projet, en sachant que je devais essayer de l’infléchir loyalement plus à gauche. J’ai soutenu François Hollande sur la base des engagements qu’il a pris, qui s’inscrivent dans une démarche sociale-démocrate. Moi, je voudrais qu’il aille plus loin.
Vous avez rencontré le chef de l’Etat la semaine dernière. Que lui avez-vous dit?
C’est lui qui a demandé à me voir. Cette rencontre a été franche, chaleureuse et constructive. J’ai réfléchi à haute voix devant lui aux propositions que je pourrais formuler à terme. Je lui ai dit qu’il fallait tout faire pour ne plus laisser grandir dans l’opinion un sentiment de désespérance ou d’absence de perspective. Autrement, les démagogues et le Front national profitent de la situation. Il faut un signal fort de justice sociale. Je pense qu’une réforme structurelle forte de la fiscalité est nécessaire. Il faut une moralisation économique et financière en rupture plus significative avec la domination exercée par les marchés financiers. C’est ce qu’il avait dit sur la finance lors de son discours du Bourget (lors de la campagne présidentielle, en janvier 2012, Ndlr).
Considérez- vous qu’il donne l’image d’un président qui a pour « ennemi » la finance?
François Hollande a tenté des réorientations qui n’ont pas abouti au niveau européen. L’Europe n’est pas socialiste, il n’est pas tout seul. Effectivement, je souhaiterais une réorientation plus forte et qu’on soit beaucoup plus offensif dans cette démarche.
Etes-vous confiant?
Je suis certain que François Hollande souhaite aller dans ce sens. Je ne suis pas pour son échec. L’heure n’est pas à cisailler les pattes de François Hollande. Tous ceux qui pensent que l’absence de confiance conduira à un échec du président, dont ils pourraient profiter, se trompent.
Vous visez Jean-Luc Mélenchon?
Oui, comme un certain nombre de gens qui sont à la direction du Front de gauche. Il y a un pôle à la gauche de la gauche qui s’extrêmise. D’autres font un grand écart entre le PS et un discours issu de la gauche de la gauche… Tous ceux-là ne doivent pas imaginer un seul instant qu’un échec de François Hollande conduirait à une alternative d’une autre gauche. Ce serait l’échec de toute la gauche, qui serait automatiquement du miel pour le FN et la droite.
Le Front de gauche est-il pour vous dans l’opposition?
S’il ne l’était pas, qu’est-ce que ça serait! Le Front de gauche est dans l’opposition même si certains s’en défendent, élections municipales exigent! Il ne faut pas laisser le terrain à ceux qui veulent instrumentaliser la colère et le désespoir des gens. C’est un terrain mortifère pour la démocratie elle-même. Il faut qu’on tire les enseignements de la situation, y compris au lendemain des élections partielles qui viennent d’avoir lieu, à Villeneuve-sur-Lot, comme dans l’Oise.
Vous êtes très critique à l’égard de Jean-Luc Mélenchon…
Je ne veux pas jouer avec lui la partition du solo funèbre de François Hollande. Jean-Luc Mélenchon est un des problèmes du Front de gauche. Il y a des gens au sein de ce mouvement qui ne se retrouvent pas dans cette politique de fuite en avant véhémente.
Vos anciens camarades communistes ont-ils tort de le suivre?
Je suis fondamentalement attaché à mes valeurs d’origine mais je ne partage pas la stratégie de cette direction politique, non constructive. C’est pour cela que j’ai pris mes distances.
En créant un mouvement indépendant, le Mouvement unitaire progressiste (MUP), comment faire pour peser dans la majorité?
Je ne dis pas que ma perspective est miraculeuse mais elle est crédible et peut donner un sens à ceux qui ne veulent pas se retrouver dans une démarche sociale-démocrate. J’ai une existence, le président de la République me reçoit car je représente avec mes amis un espace politique qui n’est pas occupé par d’autres.
Ferez-vous des alliances avec le PS dès le premier tour des élections municipales?
Nous participerons, en fonction de nos forces, à tous les rassemblements des forces progressistes de la gauche gouvernementale. Donc nous sommes pour l’union dès le premier tour.
Les écologistes proposeront dans les grandes villes des listes indépendantes. Le regrettez-vous?
C’est un choix respectable mais je pense qu’il n’est pas constructif pour la gauche. Quand on sait qu’on va faire 2 à 5% et que cela risque de placer le FN au deuxième tour, il faut un peu réfléchir.
En cas de remaniement ministériel, souhaiteriez-vous entrer au gouvernement?
Beaucoup veulent me faire parler sur cette question. Mais un remaniement n’est pas à l’ordre du jour. Ce que je veux, c’est apporter un signal fort de justice sociale. Rien d’autre ne me taraude.
Vous avez intégré le PCF en 1963. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la politique?
J’appelle à une véritable révolution en politique.Il faut donner un sens à la vie en société, imaginer une société où ses enfants, petits enfants vivent mieux qu’aujourd’hui. Ce concept de progrès m’habite depuis des décennies. La politique, c’est plus que gouverner.
Anne-Charlotte Dusseaulx et Caroline Vigoureux – leJDD.fr