La souffrance au travail a-t-elle sa place en Démocratie ?
Harcèlement psychique ou moral, harcèlement sexuel, brimades, placardages, insultes au travail, humiliations, abus de pouvoir, abus d’autorité, … Chaque jour, une personne se suicide en France à cause de son travail.
Plus de 8 Français sur 10 (84%) ont le sentiment que, depuis quelques années, le nombre de salariés en situation de souffrance au travail a augmenté[1].
Comment a-t-on pu laisser croître de tels maux au sein de nos sociétés dites « civilisées et démocratiques » ?
Nous qui nous sommes crus si longtemps plus évolués que d’autres sociétés, d’autres systèmes politiques – notamment les systèmes totalitaires et autoritaires – comment en sommes-nous arrivés là : laisser mourir par suicide des centaines de salariés et indépendants chaque année, en laisser des millions d’autres[2] en risque élevé de burn out, et ce en raison de conditions de travail devenues aberrantes, absurdes ?
Que sommes-nous devenus pour en arriver là ?
Méthodes managériales déshumanisées, concurrence accrue, vocabulaire guerrier, chômage, en sont certaines causes ; mais d’autres causes sont encore trop souvent ignorées : narcissisme de dirigeants en quête de reconnaissance, incompétence de nombreux « petits-chefs » aux ego hypertrophiés, en quête d’une toute puissance acquise en brisant, écrasant leurs subordonnées…
Sous prétexte de rentabilité, les relations humaines au travail sont brisées, comme sont brisés celles et ceux qui aimaient leur travail. Des hiérarchies violentes se sont mises en place, visant à faire jouer la concurrence au sein même des entreprises, transformées en autant de jeux télévisés tels Koh Lanta : chacun se méfie des autres au sein d’une même « équipe », on incite à la compétition, voire la rivalité en interne. Notre société démocratique déshumanise année après année le travail, rendant peu à peu sa place à la force au détriment du Droit.
Notre monde « civilisé » accepte depuis trop d’années que les employés, personnels, fonctionnaires, agents du privé ou du public soient considérés comme des pions que déplacent ou écrasent à leur guise de petits ou grands dirigeants d’entreprises ou de services publics.
Ainsi sont apparues ce que l’on connaît maintenant sous le vocable de risques psycho-sociaux (RPS) : burn-out, dépressions post-traumatiques. Des mots sur des maux.
Concrètement, ces mots/maux liés à un management par la terreur[3], ont des conséquences économiques graves[4] :
– 2 à 3 milliards d’€/an, au moins, c’est le coût du stress en France, estimé par l’INRS en 2007.
– De 50 à 60 % des cas d’absentéisme seraient dus au stress. 1 travailleur sur 4 en souffre.
Les méthodes ineptes de petits tyrans de bureaux et de responsables de ces stratégies managériales malsaines ne mènent qu’à la stagnation, au refus de toute implication de la part d’employés pressurés, écrasés, humiliés, manquant totalement de reconnaissance. On parle de présentéisme. Un autre mot/mal lié à la souffrance au travail.
Quel progrès avons-nous parcouru, depuis un siècle, alors que nous laissons faire, en toute impunité, des centaines de pervers sur les lieux de travail ?
Certes, des mesures ont été prises depuis quelques années, de nouvelles lois sur la prévention des risques psycho-sociaux… Mais que fait-on contre les comportements individuels toxiques qui sévissent dans nos entreprises et institutions ? Attend-on naïvement que ce soit ces mêmes individus qui mettent en place des CHSCT, des services de prévention, alors qu’ils sont à l’origine du mal ?
La société que nous construisons pour nos enfants, basée sur la rentabilité, l’obéissance aveugle, la déshumanisation, ne peut mener qu’à la régression : régression intellectuelle, régression économique, régression démocratique.
Face à cet état de fait – et non de droit – il est plus que temps de réagir.
Et la première réaction de toute personne confrontée à cette situation de souffrance à son travail est de PARLER, d’ALERTER, car le silence peut tuer.
Des structures existent : Prud’hommes, Tribunaux administratifs, mais également les syndicats[5], qui commencent à réagir face à cette démolition du travail et des relations humaines ; il existe également de nombreuses associations[6] spécialisées en souffrance et travail, des médecins ; des médias également, s’emparent du sujet.
Il est de la responsabilité de chacune et chacun de nous de faire progresser la qualité de vie au travail en luttant contre les méthodes et comportements toxiques au travail.
A nous de PARLER, d’ALERTER, de nous ENTRAIDER face à cette situation que tout progressiste ne peut que combattre.
Le travail ne doit pas devenir une souffrance. Il doit permettre à chacune et chacun de progresser dans la vie, de s’accomplir, d’évoluer. Il ne doit plus être un lieu de violence, d’abus et de non-droit.
[1] Les Français et la souffrance au travail. Enquête Ipsos pour la FNATH – Octobre 2012
http://www.fnath.org/upload/file/04%20-%20Prevention/RapSouffranceTravail_FNATH_2012-10.pdf
[2] 3,2 millions d’actifs en risque élevé de burn out en 2014 selon le cabinet Technologia : http://www.appel-burnout.fr/wp-content/uploads/2014/01/Burn-out-Etude-clinique-et-organisationnelle-janvier-20141.pdf
[3] Comment bien manager par la terreur ? – Les Échos, 20 juin 2013 : http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-74970-comment-bien-manager-par-la-terreur-1016738.php
[4] Observatoire des risques psycho-sociaux dans la Fonction publique : http://www.observatoiredesrpsauseindelafpt.fr/
[5] CFDT : http://www.cfdt.fr/portail/vos-droits/sante-et-conditions-de-travail-asp_5014 / CGT : http://www.cgt.fr/-Harcelement-et-souffrance-au-.html / FO : http://www.force-ouvriere.fr/contacts /
[6] Souffrance & Travail : http://www.souffrance-et-travail.com / AVHT : http://www.avht.org /
3 réponses
Quelle alternative face à un chômage qui ne peut que s’aggraver avec la robotisation de notre environnement?
Merci pour ce développement sur un sujet dont on ne parle hélas que peu en dehors de la survenue et de la médiatisation épisodique de drames humains. Oui, disons le, rappelons-le, on travaille pour vivre et on ne vit pas pour travailler. L’épanouissement professionnel est essentiel dans la vie d’un individu et il serait important de réfléchir à cela à tous les niveaux. Et pourquoi ne pas travailler moins pour travailler mieux ?
Dans les entreprises, de nombreuses enquêtes font état d’une hausse constante de la fréquence et de l’intensité des facteurs de stress qui provoquent des risques psychosociaux en augmentation et une insatisfaction au travail grandissante, qui nuisent à la fois à la santé des travailleurs et à l’efficacité de l’entreprise, ce qui justifie l’adoption de mesures techniques et organisationnelles, principalement dans le domaine du management, de l’information et de la participation du personnel …… « Conditions de travail et satisfaction au travail » : http://www.officiel-prevention.com/formation/formation-continue-a-la-securite/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=139&dossid=464